L’ouverture vers le marché irakien, un prélude à un changement stratégique au Liban
Par Soraya Hélou
Dans la tourmente des protestations populaires qui ne faiblissent pas et expriment une grande colère chez les Libanais, des propos nouveaux prononcés par le secrétaire général du Hezbollah, dans son dernier discours sont passés presque inaperçus.
Tout en appuyant les revendications populaires et en les considérant comme totalement justifiées, sayed Hassan Nasrallah a cherché à donner aux gens en colère des clés de compréhension. A ceux qui croient que les problèmes économiques, sociaux et financiers actuels sont essentiellement dus à des années de mauvais choix économiques et de corruption, il a voulu rappeler qu’on ne peut jamais dissocier ce qui se passe au Liban de l’ensemble de la situation régionale.
Preuves à l’appui, le sayed a expliqué aux Libanais qui veulent entendre et comprendre réellement ce qui se passe que le pays est soumis à un véritable blocus américain qui ne dit pas son nom. Il ne s’agit pas là des sanctions économiques imposées aux transactions bancaires dans le but de punir le Hezbollah et ceux qui l’appuient ou l’aident économiquement et financièrement. Non, il s’agit d’un véritable blocus indirect qui ne laisse au Liban d’autre voie économique que la mer et l’air, tous deux étant très coûteux. Par contre la fermeture de la voie terrestre face aux marchandises libanaises était un objectif sciemment voulu par ceux qui veulent punir le Liban de ne pas affronter le Hezbollah.
Ce n’était donc pas un hasard si l’un des objectifs de la guerre en Syrie était aussi de couper le lien géographique entre ce pays et le Liban, mais aussi surtout entre ce pays et la Jordanie d’une part et l’Irak de l’autre.
D’ailleurs, même après toutes ces années (pour rappel la guerre en Syrie a été déclenchée en mars 2011) et après la reprise en mains de la situation en Syrie par l’armée syrienne et le commandement, dès qu’il est question de normaliser les relations avec les autorités de Damas, la communauté internationale, Etats-Unis en tête, suivis par les Nations Unies, protestent et leurs cris sont relayés par des parties libanaises qui leur sont inféodées.
Aujourd’hui, en dépit de toutes les protestations de ce qu’on appelle la communauté internationale et malgré tous les plans préparés et l’argent dépensé pour renverser le régime en Syrie, celui-ci est encore en place et renforce son autorité sur la plus grande partie du territoire syrien. Les Américains et leurs alliés ont eu beau faire tout ce qu’ils pouvaient pour empêcher la réouverture des points de passage terrestres entre d’une part la Syrie et la Jordanie et d’autre part, la Syrie et l’Irak, ces derniers restant les plus importants, en raison de la richesse et de la place stratégique de ce pays, entre la Syrie et l’Iran.
Aujourd’hui, l’ouverture des points de passage entre l’Irak et la Syrie sont donc ouverts et en plus de la portée stratégique de cette ouverture, elle a aussi une grande importance économique dont le Liban peut énormément profiter.
Sayed Nasrallah dans son discours, a évoqué cette possibilité en faisant remarquer aux industriels et aux agriculteurs libanais quelle immense opportunité pourrait être pour eux l’ouverture du marché irakien, ce marché que les Américains et leurs alliés ont voulu garder fermé, sans y parvenir.
Dans son entretien télévisé, le chef de l’Etat Michel Aoun est passé rapidement sur les nouvelles perspectives économiques qui s’ouvrent devant le Liban. Mais là aussi la colère populaire est telle que les gens ne veulent rien entendre.
Pourtant, il s’agit là non seulement d’une possibilité réelle de relancer l’économie libanaise, mais d’une nouvelle orientation stratégique et un nouveau positionnement du Liban. Et c’est cela qui irrite et inquiète le plus ceux qui, dans les coulisses exploitent la colère populaire à des fins politiques.
Depuis sa création en 1943, le Liban a été conçu pour être un pays confessionnel, où l’Etat est la partie la plus faible, pour que les pays occidentaux puissent y avoir de l’influence en parrainant chacun une communauté. Sa prospérité, ses guerres, ses problèmes et son mode de gouvernement, tout dépendait de ceux qui, au-delà des frontières tiraient les ficelles. Sous le slogan «la force du Liban est dans sa faiblesse», la classe politique aux commandes du pouvoir était résignée et exécutait la volonté de l’Occident et de ses alliés.
Aujourd’hui, s’il cherche à établir un cordon économique entre Beyrouth et Bagdad en passant par Damas et en ouvrant un marché important, indépendamment de la volonté des Occidentaux et de leurs alliés, le Liban est en train de passer outre la volonté de ceux qui traditionnellement ont la haute décision dans ce pays. S’il le fait, il serait en train de se retourner contre un statu quo établi depuis plus de 70 ans. Ce ne serait pas seulement un sauvetage économique (avec un changement de la politique économique en vigueur depuis les années 90 qui reposait sur les rentes et les services), ce serait aussi une décision souveraine et un grand changement politique.
Or, c’est justement ce que les parrains traditionnels veulent éviter… en utilisant pour empêcher le Liban de trouver une indépendance économique, en prélude en l’indépendance politique, la colère justifiée d’un peuple qui n’en peut plus.