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Le «plan stratégique» de l’Arabie saoudite pour mettre la Turquie au tapis

Le «plan stratégique» de l’Arabie saoudite pour mettre la Turquie au tapis
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Par AlAhed avec Middle East Eye

L’Arabie saoudite a commencé à mettre en œuvre un «plan stratégique» visant à défier le gouvernement turc, après que le prince héritier Mohammed ben Salmane a décidé qu’il était « trop patient » avec le président Recep Tayyip Erdogan suite au meurtre du journaliste Jamal Khashoggi.

Le plan est détaillé dans un rapport secret basé sur des renseignements publics et confidentiels et préparé par l’allié du royaume, les Émirats arabes unis.

Ce rapport fait partie d’une série mensuelle rédigée par l’Emirates Policy Centre, un think tank étroitement lié au gouvernement et aux services de sécurité émiratis.

Intitulé «Rapport mensuel sur l’Arabie saoudite, Numéro 24, mai 2019», le document est diffusé à une audience restreinte et destiné aux hauts dirigeants émiratis. Il n’apparaît pas sur le site internet du think tank. Middle East Eye en a obtenu une copie.

Il révèle qu’en mai, Riyad a donné l’ordre de mettre en œuvre le plan stratégique pour défier le gouvernement turc.

L’objectif de ce plan était d’utiliser «tous les moyens possibles pour faire pression sur le gouvernement d’Erdogan, l’affaiblir et l’occuper avec des problèmes nationaux dans l’espoir qu’il soit renversé par l’opposition, ou de l’occuper avec des crises successives, le pousser à déraper et à faire des erreurs que les médias relèveraient sans doute».

Sollicité par Middle East Eye, l’Emirates Policy Centre n’avait pas répondu au moment de la publication.

Restreindre son influence

L’objectif de Riyad est de restreindre l’influence régionale de la Turquie et d’Erdogan.

«Le royaume commencera par cibler l’économie turque et faire pression en vue d’une cessation progressive des investissements saoudiens en Turquie, d’une baisse progressive du nombre de touristes saoudiens en Turquie tout en créant des destinations alternatives pour ces derniers, réduire les importations saoudiennes de biens turcs et, plus important, minimiser le rôle régional de la Turquie dans les questions islamiques», indique le rapport.

Selon le document, Mohammed ben Salmane, le dirigeant de facto du royaume, a pris la décision d’affronter la Turquie suite à l’assassinat de Khashoggi par une équipe d’agents saoudiens dans le consulat du royaume à Istanbul.

Le meurtre du journaliste saoudien, chroniqueur du Washington Post et de Middle East Eye, a suscité un scandale international, dû en grande partie à l’insistance de la Turquie sur le fait que Riyad devait rendre des comptes et faire preuve de transparence dans cette affaire.

«Le président Erdogan […] est allé trop loin dans sa campagne calomniant le royaume, en particulier la personne du prince héritier, se servant de l’affaire Khashoggi de la manière la plus répréhensible qu’il soit», peut-on lire dans le rapport.

L’Emirates Policy Centre prétend en outre dans le document que la Turquie n’a pas fourni d’informations «précises et honnêtes» pour assister l’enquête saoudienne sur le meurtre, mais à l’inverse, a procédé à de la «désinformation» auprès des médias «dans l’unique but de dénaturer l’image du royaume et de tenter de détruire la réputation du prince héritier».

Riyad a conclu qu’Erdogan avait échoué dans sa tentative de politiser et d’internationaliser l’affaire et qu’il était désormais temps d’organiser la riposte, indique le rapport.

La CIA tout comme des membres éminents du Congrès américain ont estimé que l’évaluation des renseignements turcs concernant le meurtre de Khashoggi était exacte.

La CIA a également conclu que Mohammed ben Salmane avait très certainement approuvé cette opération, une évaluation reposant également sur ses propres renseignements.

Selon un responsable américain au courant des conclusions de la CIA, «la position acceptée est qu’il est impossible que cela se soit produit sans qu’il soit au courant ou impliqué», a rapporté le Washington Post.

Depuis lors, Agnès Callamard, rapporteuse spéciale des Nations unies experte des droits de l’homme, a détaillé dans un rapport les difficultés rencontrées par les autorités turques dans l’enquête sur le meurtre du journaliste et notamment pour accéder au bâtiment du consulat saoudien et au domicile du consul général.

Agnès Callamard a conclu de manière indépendante que le prince héritier avait ordonné le meurtre de Khashoggi.

Les pressions commencent

Le premier signe montrant que la campagne détaillée dans le document émirati est en train de se concrétiser est apparu la semaine dernière.

Les autorités saoudiennes ont empêché 80 camions turcs transportant des produits textiles et chimiques d’entrer dans le royaume via le port de Douba.

Trois cents containers transportant des fruits et légumes en provenance de Turquie ont également été retenus au port de Djeddah, selon un responsable turc s’adressant à MEE sous couvert d’anonymat.

Le nombre de touristes saoudiens en Turquie a chuté de 15 % (de 276 000 à 234 000) au cours des six premiers mois de l’année, selon des données publiées par le ministère turc du Tourisme.

L’Arabie saoudite compte environ 2 milliards de dollars d’investissements directs en Turquie, selon des données du ministère turc des Affaires étrangères datant de 2018.

Cette année-là, les exportations turques en Arabie saoudite avaient été estimées à 2,64 milliards de dollars, tandis que les importations depuis le royaume s’élevaient à 2,32 milliards de dollars.

En coulisses, d’autres signaux ont été envoyés à Ankara.

Le rapport émirati précise : «signe que les dirigeants saoudiens ont rompu leurs relations avec […] Erdogan et commencé à le traiter comme un ennemi», le roi Salmane a approuvé «sans hésitation» la recommandation faite par une commission consultative de ne pas envoyer d’invitation officielle à assister à un sommet très médiatisé de l’Organisation de la coopération islamique.

Le nom du président turc a été ajouté à la liste des dirigeants exclus du sommet, sur laquelle figurent également le président syrien Bachar al-Assad, le président iranien Hassan Rohani et l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.

En fin de compte, le roi Salmane a décidé d’autoriser l’émir qatari à assister à l’événement à La Mecque, mais l’invitation d’Erdogan n’a pas suivi.

Le gouvernement turc est conscient des tentatives du prince héritier saoudien visant à rompre les relations et tente de les contrer en communiquant directement avec son père, le roi Salmane.

Un responsable turc, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a déclaré que l’existence d’une stratégie saoudienne visant à punir la Turquie pour sa position dans l’affaire Khashoggi n’était pas une surprise.

«Nous sommes conscients de ce qu’ils font. C’est quasiment du domaine public dans la mesure où leurs activités sont visibles sur les réseaux sociaux soutenus [par les autorités] saoudiennes et dans les médias étatiques saoudiens», a déclaré le responsable à MEE, faisant observer qu’ils avaient ouvertement appelé à un boycott.

«Les arrivées de touristes chutent et nous avons des problèmes avec les exportations turques. Nous suivons la situation de près.»

Le responsable turc a toutefois déclaré qu’Ankara ne croyait pas que les citoyens saoudiens changeraient d’opinion sur la Turquie, malgré les efforts de Riyad.

«Istanbul, par exemple, est encore bondée de touristes saoudiens. Les responsables saoudiens devraient vérifier le sondage de la BBC sur la popularité d’Erdogan au Moyen-Orient. Ils réaliseront alors leur échec», a-t-il estimé.

Recep Tayyip Erdogan a téléphoné jeudi au monarque saoudien pour évoquer le problème des exportations turques consignées dans les ports saoudiens.

Un autre responsable turc, s’exprimant également sous couvert d’anonymat, a déclaré que la conversation téléphonique avait été cordiale et axée sur les évolutions régionales, telles que la Syrie et la question de la Palestine.

Le responsable, qui était informé de cet appel, a déclaré que le roi était lucide et avait exprimé son soutien face aux préoccupations de la Turquie concernant la Syrie.

Au cours de cette conversation, Erdogan a invité le roi Salmane et sa famille, y compris le prince héritier, en Turquie.

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