Le brûlot anti-Trump du NYT: un président «amoral», «mesquin» et «incohérent»
Traduit par Samer R. Zoughaib
Sous le titre de «Je fais partie de la résistance à l'intérieur de l'administration Trump», un membre anonyme de l’administration de Donald Trump a signé, dans le prestigieux New York Times, une tribune embarrassante pour le président américain, accusé de mettre en danger les intérêts supérieurs de son pays et l’unité nationale. Le vice-président Mike Pence a nié être l’auteur de ce brûlot, qui démolit le président américain, taxé, entre autres, par l’auteur, d’«amoralité», d’«impulsivité», d’«incohérence» et d’«instabilité».
Voici la traduction intégrale de cette tribune:
Le président Trump fait face à un défi différent de tout ce qu’a dû affronter tout autre leader américain contemporain.
Ce n’est pas seulement la place importante qu’occupe le procureur spécial (dans l’affaire de la collusion présumée avec la Russie. Ndlr). Ou que le pays est profondément divisé autour du leadership de M. Trump. Ou même que son parti pourrait bien perdre la (majorité) à la Chambre face à un adversaire qui œuvre à sa chute.
Le dilemme -qu'il ne saisit pas pleinement- est que nombre de hauts responsables de son administration travaillent avec diligence de l'intérieur pour contrecarrer certaines parties de son programme et ses pires dérives.
Je le sais. Car j’en fais partie.
Pour être clair, notre action n'est pas la «résistance» populaire de la gauche. Nous voulons que l’administration réussisse et nous pensons que beaucoup de ses politiques ont déjà rendu l’Amérique plus sûre et plus prospère.
Mais nous croyons que notre devoir premier est (de servir) ce pays et estimons que le président continue d'agir d'une manière qui nuit à la santé de notre République.
C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnes nommées par Trump se sont engagées à faire ce qu’elles peuvent pour préserver nos institutions démocratiques tout en contrecarrant les mauvaises impulsions de M. Trump jusqu’à ce qu’il ne soit plus en fonction.
La racine du problème est l’amoralité du président. Quiconque travaille avec lui sait qu’il n’est attaché à aucun des principes élémentaires dans ses prises de décision.
Bien qu'il ait été élu en tant que républicain, le président montre peu d'affinités pour les idéaux longtemps défendus par les conservateurs: les esprits libres, les marchés libres et les personnes libres.
En plus de son marketing de masse autour de la notion que la presse est «l’ennemi du peuple», les impulsions du président Trump sont généralement anti-commerce et antidémocratiques.
Ne vous méprenez pas. Il y a des points positifs que la couverture (médiatique, Ndlr) négative quasi incessante de l'administration ne parvient pas à saisir: une déréglementation effective, une réforme fiscale historique, une armée plus robuste et d’autres points encore.
Mais ces succès ont été réalisés malgré - et non pas grâce- au style de leadership du président, qui est impétueux, contradictoire, mesquin et inefficace. De la Maison-Blanche aux départements et agences du pouvoir exécutive, les hauts fonctionnaires exprimeront en privé leur incrédulité quotidienne face aux commentaires et aux actions du commandant en chef. La plupart d’entre eux s’efforcent de mettre leur action à l’abri de ses caprices.
Son impulsivité se traduit par des décisions mal informées et parfois imprudentes, qu’il est difficile de soutenir. «Il est littéralement impossible de savoir s'il pourrait changer d'avis d'une minute à l'autre», s'est récemment plaint un haut responsable, exaspéré par une réunion au Bureau ovale au cours de laquelle le président est revenu sur une décision politique importante qu'il avait prise une semaine plus tôt.
Le comportement incohérent (de M. Trump) aurait été plus inquiétant s’il n’y avait pas ces héros inconnus dans et autour de la Maison Blanche. Certains de ses collaborateurs ont été qualifiés de «mauvais» par les médias. Mais en privé, ils ont tout mis en œuvre pour garder les mauvaises décisions dans l’Aile ouest (les bureaux du président, ndlr), même si leur action n’a pas toujours été couronnée de succès. Cela peut être un réconfort dans cette période chaotique, mais les Américains devraient savoir qu'il y a des personnes matures. Nous savons très bien ce qui se passe. Et nous essayons de faire ce qui est juste, même lorsque Donald Trump ne le fait pas.
Le résultat est une présidence à deux vitesses.
Prenons la politique étrangère: en public et en privé, le président Trump montre une préférence pour les autocrates et les dictateurs, tels que le président russe Vladimir Poutine et le leader de la Corée du Nord Kim Jong-un. Il fait preuve de peu d’appréciation pour les nations avec lesquelles nous sommes liés par des alliances et avec lesquelles nous partageons les mêmes idéaux.
Les observateurs avertis ont cependant noté que le reste de l’administration opère sur une autre voie, où des pays comme la Russie sont montrés du doigt et punis comme il se doit, et où les alliés du monde entier sont traités comme des partenaires plutôt que des rivaux.
Concernant la Russie, par exemple, le président hésitait à expulser un grand nombre d’espions de M. Poutine pour punir l’empoisonnement d’un ancien espion russe en Grande-Bretagne. Pendant des semaines, il s’est plaint que des membres importants de son entourage l’avaient fait entrer dans une nouvelle confrontation avec la Russie et il a exprimé sa frustration de voir les États-Unis continuer à imposer des sanctions contre ce pays pour son comportement malveillant. Mais son équipe de la sécurité nationale savait que de telles mesures devaient être prises pour que Moscou soit tenu responsable.
Ce n’est pas le résultat du travail du soi-disant Etat profond. C’est celui de l’Etat stable.
Compte tenu de l’instabilité dont beaucoup d’entre eux ont été témoins, des rumeurs ont circulé au sein du cabinet invoquant le 25e amendement, qui amorcerait un processus complexe de révocation du président. Mais personne ne voulait provoquer une crise constitutionnelle. Nous ferons donc tout notre possible pour orienter l’administration dans la bonne direction jusqu’à ce que le mandat s’achève, d’une manière ou d’une autre.
La plus grande préoccupation n'est pas ce que M. Trump a fait à la présidence, mais plutôt ce que nous, en tant que nation, avons permis de nous infliger. Nous avons sombré avec lui et permis à notre discours d'être dépouillé de civilité.
Le sénateur John McCain l'a bien exprimé dans sa lettre d'adieu. Tous les Américains devraient tenir compte de ses paroles et se libérer du piège du tribalisme, avec comme objectif principal d’unir nos valeurs communes et notre amour pour cette grande nation.
Nous n'avons peut-être plus le sénateur McCain. Mais nous aurons toujours son exemple - un guide pour restaurer l’honneur dans la vie publique et le dialogue national. M. Trump craint sans doute ces hommes honorables, mais nous, nous devrions les vénérer.
Il y a, dans l'administration, une résistance discrète de personnes qui choisissent de donner la priorité au pays. Mais la vraie différence sera faite par les citoyens ordinaires qui se placent au-dessus de la politique, traversent l'allée et jettent résolument les bulletins en faveur des seuls Américains.
Source : French.alahednews