Bahreïn, médaille d’or de la haine de l’Iran
La monarchie de Bahreïn se montre encore plus extrémiste que l’Arabie saoudite dans sa haine de l’Iran.
Al Wasat était le seul journal indépendant et crédible dans le petit archipel de Bahreïn. Il a été suspendu dimanche 4 juin accusé de «semer la division dans la société». Son crime? Il est dirigé par Mansoor Al-Jamri, l’un des plus prestigieux journalistes du pays, ardent défenseur des droits de l’homme, et issu d’une grande famille chiite. Tant pis si l’épouse de Mansoor, Reem, également journaliste, est sunnite. Pour le régime, appartenir à la communauté chiite est presque devenu un crime depuis le «Printemps arabe» de 2011.
Cette parano tient au fait que les sunnites, qui accaparent pratiquement tous les pouvoirs, sont très minoritaires dans le pays (30% de la population). Résultat, pour les forces de l’ordre, un chiite, c’est forcément un opposant, et donc un traître, un terroriste à la solde du puissant voisin iranien.
Avec l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, Bahreïn n’a donc pas hésité une seconde à rompre ses relations diplomatiques avec son voisin, le Qatar, accusé d’être «trop conciliant» avec Téhéran.
Avec la bénédiction de Donald Trump
Tant que Barack Obama occupait la Maison Blanche, le roi Hamed Ben Issa Al-Khalifa retenait «un peu ses tueurs. Le président, «préoccupé» par les atteintes répétées aux droits de l’homme, avait même bloqué la vente d’avions de chasse au royaume.
Il faut savoir que Manama abrite le commandement de la Ve flotte américaine et le commandement central des forces navales.
Mais le souverain est sorti apparemment très soulagé de sa rencontre en Arabie saoudite avec Donald Trump. Pourquoi se gênerait-il dorénavant? L’Iran n’est-il pas devenu l’ennemi prioritaire pour Washington?
Un Tribunal a aussitôt dissout le parti Waad, la dernière formation politique d’opposition, pour «incitation à la violence». Tant pis encore une fois si cette petite formation de gauche regroupait aussi bien des chiites que des sunnites. Ibrahim Chérif, l’ancien secrétaire général du Waad, est poursuivi pour «incitation à la haine contre le régime».
Quant au Wefaq, la principale force d’opposition, elle a déjà été dissoute l’année dernière.
Le chef spirituel chiite Issa Qassem, accusé de «blanchiment d’argent» et de «collecte illégale de fonds», a tout simplement été déchu de sa nationalité à 80 ans. Issa Qassem est pourtant né à Bahreïn en 1937. La police n’a pas hésité à tirer sur des manifestants à Diraz, dans la banlieue de Manama, tuant cinq d’entre eux.
De toute façon, avec la suspension d’Al Wasat, il n’y aura plus de médias locaux pour parler des sujets qui fâchent.
Dix ans de prison pour un photographe
Pour un journaliste étranger, la rencontre avec des opposants s’apparente souvent à un parcours du combattant. Il faut rouler de nuit, faire des détours. Le chauffeur s’arrête, regarde s’il n’est pas suivi. Il repart, téléphone. Il s’arrête à nouveau. Nouvel appel téléphonique. Dans une ruelle sombre, une ombre nous signe de la suivre. Nous rencontrons des amis d’Ahmed Humaidan, un jeune photographe (chiite) qui couvrait les manifestations du «Printemps arabe» dans l’archipel.
Il a fait partie des «100 héros de l’information» de Reporters sans frontières. Ses photos devaient suffisamment déranger le régime pour que celui-ci l’accuse en avril 2012… d’avoir attaqué un commissariat de police de Sitra à l’aide de cocktails Molotov.
Pendant six mois, Ahmed parvient à se cacher dans cette petite île de 765 km2. En 2014, malgré l’absence de preuves, il est condamné à dix ans de prison. Ahmed n’a alors que 25 ans.
Son jeune frère, âgé de 17 ans, qui participait à des manifestations, a été arrêté dans sa classe, et condamné à cinq ans de détention.
Aujourd’hui les auteurs de violences, réelles ou supposées, risquent la prison à perpétuité et même la peine de mort! Le roi de Bahreïn a ratifié un amendement autorisant la tenue de procès militaires pour les civils…
Des naturalisations de sunnites par milliers
«Contrairement aux autres pays du Golfe, qui n’accordent la nationalité qu’au compte-goutte, Bahreïn se montre particulièrement généreux, à condition que les postulants soient sunnites, bien évidemment. Le Royaume accueille ainsi des Irakiens, des Jordaniens, des Syriens, parfois même des Pakistanais», explique un dirigeant de l’opposition qui préfère conserver l’anonymat.
Ces anciens étrangers sont principalement recrutés dans la police, l’armée ou comme gardiens de prison.
Le régime ne se montre pas davantage regardant pour naturaliser des Saoudiens. Ces derniers ne résident pas dans le pays, mais viennent en masse voter les jours d’élections (truquées).
Perpétuellement, les autorités de Bahreïn annoncent des «complots fomentés par l’Iran».
Chaque jour ou presque, les forces de l’ordre ont démantelé «une cellule liée à Téhéran». Ses membres auraient naturellement effectué des «entraînements au maniement des armes et des explosifs en Iran et en Irak». On aurait saisi des pistolets et des Kalachnikov. Quelques jours plus tard, on arrête vingt suspects, dont quatre femmes, «affiliés aux Pasdaran du régime iranien». Les personnes arrêtées auraient construit «des installations secrètes pour produire des engins explosifs». Et quand des prisonniers parviennent à s’évader, ils s’enfuient par la mer, forcément «en direction de l’Iran».
Si le danger iranien est intense, on se demande pourquoi les installations pétrolières de Bahreïn, dans le sud de l’île, sont aussi mal protégées. Nous avons pu nous en approcher à quelques dizaines de mètres. Il n’y avait ni militaires ni policiers pour les surveiller.
Source: mondafrique.com