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C’est pourquoi Ben Gourion s’est trompé

C’est pourquoi Ben Gourion s’est trompé
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Muhammad Bdeir – al-Akhbar (12 juillet 2010)
Traduction: Fadwa Nassar


Entre le « changement de cap » auquel Tel Aviv aspirait lors de son agression de juillet – sans le savoir, et « le changement de la face de la région », que promet le secrétaire général du Hezbollah, sayyid Hassan Nasrullah, lors de toute guerre prochaine déclenchée par "Israël", existe un fil, mince au niveau du sens mais très éloigné au niveau de la conception.
A la veille du 12 juillet 2006, lorsque le gouvernement israélien a unanimement décidé de répondre à l’opération de capture menée par la résistance dans la zone de Hadb Ayta, l’armée a surnommé l’opération militaire lancée la nuit même: «sanction appropriée ». La décision du gouvernement alors comportait les termes suivants: « la riposte avec la fermeté nécessaire.. de manière violente et dure contre les exécutants de l’attaque et les parties qui en sont responsables », sans en définir le cadre temporel ou aborder ses buts recherchés ou les conditions pour la terminer. Le jour suivant, le 13 juillet, l’état-major de l’armée a pris la décision de modifier le nom de l’opération en « changement de cap ». A l’époque, les sources israéliennes avaient indiqué que cette modification impliquait des significations qui dépassaient la forme et se rattachait plutôt à des ambitions stratégiques qu’il a fallu exprimer. Alors que la signification reflétée par le nom « sanction appropriée » semblait se limiter à la dimension « de riposte » à la résistance, le but étant de la punir pour son opération, l’appelation « changement de cap » va plus loin pour indiquer que l’action de l’armée prend une dimension de redéfinitition des équations et rapports de force stratégiques dans la région, ce qui a été plus tard exprimé par la ministre américaine des affaires étrangères, Condoleeza Rice, à propos du « nouveau Moyen-orient ». La première formule de ces ambitions s’est élaborée à travers les objectifs de la guerre, décidés selon les ordres émis par le chef de l’état-major de l’armée, Dan Halutz, le soir même, qui comportaient, entre autres : approfondir la dissuasion israélienne dans la région (lire : faire plier la rigueur syrienne), appliquer la résolution 1559 du conseil de sécurité (supprimer la résistance au Liban), restreindre l’influence du Hezbollah sur la scène palestinienne (encercler et étouffer l’intifada), et au bas de la liste, l’indication « assurer les conditions appropriées pour le retour des deux soldats capturés ». Dix-huit jours après le déclenchement de la guerre, le premier ministre israélien, Ehud Olmert, résume, dans un discours prononcé à la Knesset, la vision israélienne des objectifs de l’agression, disant « le Moyen-orient, après la guerre, ne sera pas comme il l’était avant la guerre ». Cette prévision d’Olmert est la seule chose, dans l’œuvre de cet homme – qui bénéficie de l’unanimité des Israéliens, lorsqu’ils constatent la réalité après « la seconde guerre au Liban », même si l’explication est tout à fait à l’opposé de ce qu’il avait signifié.
Réalisation de la guerre et paradoxe de la dissuasion
Les estimations israéliennes ont énormément changé après l’agression de juillet, avant de se stabiliser depuis un court moment, sur la présence d’un ensemble de réalisations que la guerre aurait réussi à accomplir. Au cours de la période qui a directement suivi le cessez-le-feu, Israël fut envahi par une vague de consternations due aux conséquences négatives de la guerre, qui ont nécessité la mise en place d’un nouvel environnement stratégique, qui rappelle quotidiennement le grand fracas subi par la capacité dissuasive israélienne et qui reflète le déséquilibre évident du rapport de forces entre les deux projets, celui de l’occupation et celui de la résistance. L’individu peut facilement s’arrêter sur les déclarations de responsables israéliens théorisant à ce propos, la plus importante étant celle du chef de l’opposition alors, premier ministre aujourd’hui, Benyamin Netanyahu, qui considère (dans une conférence prononcée à l’institut Begin-Sadate, à l’université Bar Ilan), que les résultats de la « deuxième guerre du Liban » a ramené Israël quarante ans en arrière, soit avant la guerre de juin 1967, lorsque la question existentielle planait sur l’entité sioniste naissante en Palestine, et que les Arabes pensaient encore que la victoire contre Israël n’était pas impossible. Dans le même état d’esprit, nous pouvons indiquer la rencontre « secrète » que les journaux israéliens ont dévoilée juste après la guerre entre Olmert et les appareils sécuritaires (Shabak et Mossad) qui lui ont fait part de leur estimation de la guerre, où ils ont vu « une catastrophe nationale où Israël a subi un coup décisif ».
Plus tard (mi - 2008), Israël s’est souvenu des conséquences positives qu’il a expliquées par un effet rétroactif de la guerre, qui se manifestent dans la capacité de dissuader la résistance au Liban de mener des opérations militaires au-delà de la ligne frontalière, ce qui a entraîné une période de calme sur le front libanais, « le plus long depuis trente ans », comme aiment à le répéter les responsables israéliens. En examinant les bases de cette dissuasion, l’élite militaire et politique en Israël a conclu qu’elle s’expliquait par l’ampleur de la riposte destructrice, subite et inégalée que l’appareil israélien de guerre a fait subir aux infrastructures et aux espaces urbains libanais, qui a été à tel point terrible et brutal qu’il a « fait plier la raison » de la résistance, l’empêchant de penser à provoquer Israël par crainte de subir « sa folie ». Plus tard, cette allusion à la folie est devenue un concept dans le discours israélien prenant le nom de « doctrine de la banlieue ».
A partir de « la doctrine de la banlieue », Israël a essayé de mettre à profit les complexités de la situation intérieure vécue par la résistance, pour consolider de nouvelles règles du jeu, qui remplaceraient celles qui existaient avant la guerre et qui ont été brisées avec elle.
Nous savons que les règles du jeu, avant la guerre, penchaient du côté de la résistance qui est parvenue à garder le droit à l’initiative de mener des opérations, alors que l’ennemi, craignant d’être entraîné vers l’ouverture d’un second front, ce qu’il ne voulait pas, s’est réfugié dans la case appelée « politique de l’inclusion ou de l’intégration », se contentant de riposter juste pour ne pas perdre la face. Quant à la période qui a suivi la guerre de juillet, le mode d’action de l’ennemi indique clairement qu’il est habité par l’obsession de ne pas répéter l’antécédent d’avant-guerre, pour ne pas reconnaître son infériorité opérationnelle face à la résistance et se soumettre à sa puissance dissuasive. Les ripostes de l’artillerie que l’armée israélienne a veillé à confirmer suite à chacun des sept incidents de tirs de fusées, du sud Liban en direction du nord de la Palestine, tout au long des quatre dernières années, sont une preuve de cette nouvelle orientation israélienne.
Nous pouvons même affirmer qu’Israël a entrepris de formuler une nouvelle politique d’inclusion, opposée à celle d’avant-guerre, de sorte qu’il devienne l’initiateur, et la résistance devenant en situation de repli. Il serait alors possible d’expliquer la série des opérations sécuritaires et militaires qu’Israël a menée au cours des dernières années, à commencer par l’assassinat du dirigeant militaire de la résistance, le martyr Imad Mughnieh, le bombardement de l’installation de Deir Zor en Syrie, et puis ce qui se dit tout récemment à propos de l’intention israélienne de frapper un coup en relation avec les armes susceptibles de modifier l’équilibre que la résistance, d’après ses dires, cherche à posséder.
En réalité, les trois derniers exemples, et d’autres opérations israéliennes moins tumultueuses (confiscation du navire Francob, raid sur le convoi d’armes de la résistance palestinienne au Soudan)  sont rattachées par d’autres aspects à une stratégie israélienne parallèle, dont l’objet est de gêner l’axe de la résistance et l’empêcher de bâtir et d’accumuler ses capacités, en visant tout ce qui est possible dans ce domaine. Ici, précisément, se révèle le paradoxe vécu par Israël au niveau de la dissuasion dont il dit qu’elle s’est renforcée après l’agression de juillet. Israël qui claironne à propos de l’élévation du niveau de sa dissuasion envers ses ennemis – et à leur tête la résistance au Liban – admet en même temps son incapacité à dissuader ces ennemis d’accumuler leurs capacités militaires au point de représenter une menace stratégique. Les médias israéliens ont largement publié, au cours de ces trois dernières années, des rapports parlant de la multiplication de la capacité de la résistance, tant au niveau quantitatif (l’arsenal des missiles qui est passé de 13.000 avant la guerre à 45.000 après) que qualitatif avec le bond opéré par les armes qui brisent l’équilibre.
Il est possible d’expliquer ce que signifie le paradoxe de la dissuasion de la manière suivante : si le cours et les conséquences de l’agression de juillet ont prouvé, par effet rétroactif, la justesse de la croyance israélienne qui avait cours avant, concernant la force de dissuasion de la résistance qu’il ne faut pas minimiser toute confrontation et qu’il faut hésiter avant toute décision d’entreprendre une guerre contre elle, l’agression elle-même a montré à nouveau une vérité toujours signalée au sein des cercles israéliens de décision, disant que tout évitement de liquider la force de la résistance, par crainte du coût qui lui est associé, signifie nécessairement lui permettre d’accumuler ses forces et par conséquent, de consolider sa capacité dissuasive d’une part, et élever le coût devant être payé pour l’affronter dans l’avenir, d’autre part.
En d’autres termes, si la philosophie de la dissuasion consiste à empêcher la guerre en augmentant son coût, le fait d’éviter la guerre – dans le cas de la résistance du Hezbollah – entraîne à élever le coût de la prochaine guerre, lorsqu’elle sera déclenchée, grâce aux capacités que la période de calme lui permet d’obtenir. Nous pouvons affirmer qu’Israël continue à vivre cette impasse sans lui trouver d’issue.
La résistance et la stratégie opposée
Il était évident que la résistance, qui a remporté une victoire historique lors de l’agression de juillet, au niveau du conflit arabo-israélien, n’a pas compté sur l’allégresse exceptionnelle vécue par ses membres et partisans, mais s’est préparée, en silence, pour la prochaine confrontation sans se laisser détourner par les vacarmes internes et externes suscités autour d’elle. Elle s’est plutôt contentée – pour fixer sa dissuasion dans la conscience israélienne, lors de la période qui a suivi la guerre, d’indiquer sa capacité à viser tout point à l’intérieur de la Palestine occupée (comme l’a déclaré son secrétaire général, sayyid Hassan Nasrullah, dans une interview sur la chaîne al-Jazeera, à l’occasion de première commémoration de la guerre), et a ensuite progressivement relevé sa capacité dissuasive, indiquant proportionnellement le niveau des capacités qu’elle est parvenue à acquérir. C’est ainsi que nous avons assisté à une progression voulue des déclarations, de la capacité à annuler la marine de guerre israélienne, à la promesse de détruire les unités de l’armée israélienne qui entreraient au Liban, quel que soit leur nombre, en passant par l’équation Tel Aviv – la banlieue ou Beirut, et finalement la capacité d’imposer un blocus maritime sur la côte méditerranéenne d’Israël au cas où celui-ci imposerait un blocus sur les côtes libanaises. Dans ce même cadre, l’étape la plus remarquable est l’allusion à la politique œil pour œil quant au ciblage des installations civiles, militaires ou économiques.
Si la promesse de détruire les forces terrestres israéliennes qui entreraient au Liban est une annonce de la résistance sur sa capacité de limiter la première assise de la supériorité militaire israélienne, qui est la force blindée avec le Mirkeva pour légende, l’équation « aéroport contre aéroport, électricité contre électricité, installations pétrolières contre installations pétrolières », est une abréviation, même relative, de la seconde assise de la supériorité israélienne, qui est la force aérienne. En effet, ce que la résistance n’a pas dit et que Israël a compris, avec sa proclamation de la nouvelle équation, c’est qu’elle a parachevé sa maîtrise des quatre éléments dont l’interférence transforme les fusées qu’elle détient à une quasi force aérienne, du point de vue de l’efficacité.
Ces éléments sont : d’abord, la portée, et Israël reconnaît, par le biais de son ministre de la défense, Ehud Barak, la capacité de la résistance de cibler tout point à l’intérieur d’Israël. Deuxièmement, la densité de feu, et le dernier rapport israélien, paru il y a quelques jours, parle de la capacité de la résistance à tirer près de 700 missiles par jour, en direction de l’intérieur israélien. Troisièmement, la capacité de destruction, et les rapports d’Israël ont reconnu que la résistance possède des fusées dont la tête explosive pèse une demi-tonne, ce qui s’ajoute à l’équation « immeubles contre immeubles » dont a parlé sayyid Nasrullah. Quatrièmement, l’élément de la précision à propos duquel les commentateurs israéliens ont déclaré que c’est le concept de « l’arme qui  brise l’équilibre » que les politiciens et les militaires de Tel Aviv répètent lorsqu’ils ne cessent de mettre en garde contre son acquisition par le Hezbollah, car cela signifie qu’il aurait la possibilité de viser tout point sensible, militaire et civil, à l’intérieur d’Israël, ce qui lui permettrait d’exercer une pression directe sur la capacité de combat de l’armée israélienne, en visant ses casernes et ses bases, et sur la capacité d’endurance des citoyens israéliens, en détruisant les moyens de cette endurance, au niveau des services d’infrastructures.
Sur le plan opérationnel, le Hezbollah a ainsi présenté, sans l’annoncer, une contre-stratégie à « la doctrine de la banlieue » israélienne, remettant ainsi en place l’équilibre de la terreur et de la dissuasion qui existait envers Israël avant la guerre. L’individu peut penser que lorsque le Hezbollah a ainsi fait, il préparait le terrrain pour exposer les plans de riposte à l’assassinat du martyr Mughnieh, plans qu’Israël a parié, jusqu’à un temps proche, que sa seule dissuasion pouvait l’empêcher d’exécuter ce qui est douloureux.
Loin de se contenter de compter sur les effets certains du nouveau genre de dissuasion dont il a consolidé les assises, le parti a entrepris – dans un pas exceptionnel selon tous les critères, d’élargir sa base en proclamant une triple alliance militaire, en rejoignant la Syrie et l’Iran dans un front qui se veut un message ferme à Tel Aviv, au « sommet du mal » (comme l’a appelé Israël) qui dit que si la guerre est déclenchée, elle ne se limitera pas à un seul front, et que le temps où Israël pouvait isoler les fronts est dépassé, pour laisser la place à l’époque de la guerre globale et ouverte sur des perspectives qui changent la face de la région, comme l’a promis sayyid Nasrullah.
MAD
Quatre ans après la guerre, comment pouvons-nous lire la nouvelle réalité stratégique entre le Hezbollah et Israël ? Loin d’estimer les intentions, l’exposé présenté résume une scène où les fronts sont prêts à s’embraser à cause des capacités accumulées et des motivations premières pour chacune des parties du conflit. Israël, comme il a été mentionné, est concerné par la suppression des capacités du Hezbollah autant qu’il est concerné par sa dissuasion de mettre en action ses capacités. Son problème est que la réalisation de son premier objectif ne passe pas nécessairement par le second, quand il ne s’avère pas contradictoire sur le plan pratique. Quant au Hezbollah, il se prépare au jour de la grande confrontation sur laquelle il s’appuiera pour réaliser son plus grand objectif idéologique : la disparition d’Israël.
La réalité dissuasive accumulée par les deux parties a entraîné, dans sa dernière version, la production d’une profonde prise de conscience que la prochaine guerre comporte des possibilités probables de dégringolade vers l’embrasement de tous les fronts, de sorte que l’intérieur civil, des deux côtés de la frontière, risque d’être une application de la logique de « la doctrine de la banlieue » sous ses deux versions, thèse et antithèse. Cette réalité est en passe de s’appuyer sur ce qui s’apparente à la théorie « MAD » ou « Destruction mutuelle inéluctable » empruntée au vocabulaire de la dissuasion nucléaire des deux superpuissances lors de la guerre froide. Le concept signifie que chacune des parties du conflit possède la capacité d’entraîner des destructions énormes et certaines chez l’autre partie, grâce à l’arme nucléaire, ce qui conduit, en fin de compte, à l’auto-dissuasion de chacune d’elles à prendre l’initiative d’une guerre contre l’autre, tant que son coût entraîne sa propre destruction parallèlement à la destruction de son ennemi.
Quatre ans après la guerre, certains, en Israël, se tiennent sur ses hauteurs pour proclamer leur désir de l’entreprendre, à partir des aspects qu’ils pressentent de la prochaine guerre. Soixante ans plus tôt, le fondateur d’Israël et l’élaborateur de sa doctrine sécuritaire, Ben Gourion, avait considéré que la période de calme qui suit les guerres n’est qu’une longue période de trêve ou de cessez-le-feu avant la guerre prochaine. Ben Gourion pensait qu’Israël a le pouvoir de consolider sa présence par les guerres mais non de réaliser la paix, par le biais de la guerre. Il est certain que hors d’Israël, aujourd’hui, - et probablement à l’intérieur également, il y a ceux qui voient que la « troisième guerre du Liban » ouvrira la porte pour contredire la justesse de la première partie de la supposition du fondateur d’Israël. Ceux-là pensent que cette guerre instaurera une modification radicale de l’orientation du parcours historique dans la région, et en premier lieu, la perte par Israël de sa capacité militaire à garantir son existence, après la défaite qu’il subira.


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