Assad: Le dialogue, la base du troisième mandat
Il sort souriant jusqu’à la porte d’entrée. Il ne montre aucune inquiétude pour sa sécurité. Celui qui se prépare à le rencontrer ne subit aucune fouille. Ne passe sous aucune porte électronique. Le président Bachar Assad donne l’impression, au début de son troisième mandat, de poursuivre sa vie quotidienne comme si le pays n’avait jamais connu de guerre. Rien ne rappelle cette guerre dans son bureau, sauf les détonations d’obus tirés d’un moment à l’autre vers les fiefs de ceux qui sont désormais qualifiés de terroristes.
Il maintient sa sveltesse et son allure élégante comme dans les moments de paix. Il s’intéresse au sport et à sa famille, en dépit de l’ampleur des dossiers politiques et sécuritaires dont il suit les détails personnellement, tout au long de la journée. Toux ceux qui étaient à ses côtés, durant les années de la guerre, reconnaissent qu’il avait gardé son sang-froid, plus que les autres. Il n’a jamais été perturbé. Certains racontent que lors de l’annonce par le président américain de l’heure H pour le début de l’offensive à laquelle il a plus tard renoncé, Assad était, jusqu’aux derniers instants, en contact direct avec ses adjoints. Il s’enquérait de l’état de chacun d’eux.
Lorsqu’un attentat a visé un des bureaux du président de la Sûreté de l’Etat, le général Ali Mamlouk, Assad était le premier à contacter ce dernier, lui recommandant de ne pas sortir par crainte d’une deuxième explosion. Nul n’a de réponse claire sur les raisons de ce calme. Les facteurs de confiance et de conviction étaient rares durant la guerre. Malgré ce fait, Assad répétait que la Syrie subissait un complot étranger et que le terrorisme se déploiera et puis sera de retour pour faire exploser ses sources d'origine. Aujourd’hui, il sent qu’il avait eu raison. «L’occident a adopté, même très tard, ce que j’avais affirmé dans mon premier discours au début de la crise. Il a senti que le feu s’étend vers son territoire».
Damas. Depuis le premier instant du passage de la frontière, les banderoles soutenant le président Assad attirent les regards. Elles portent toutes sa signature et le slogan de la campagne électorale «Sawa» (ensemble). Un fait attire l’attention. De grandes sociétés syriennes et de célèbres noms de marques commerciales et de figures connues placent leurs noms sur les banderoles pour que le lecteur sache l’identité de celui qui l’a offerte. Ce fait n’était pas possible dans les dernières années. Certains loyalistes tentaient de s’éloigner tant que mal du soutien public du régime. Les empreintes du capital damascène sont claires.
Le slogan «Sawa» sera-t-il vraiment celui de la prochaine période?
Assad en est convaincu. Il dit: «le dialogue, la culture du dialogue et habituer les gens à dialoguer avec l’autre» sont les slogans de cette période. La justesse de cette attitude a été confirmée dans plusieurs réconciliations. «Nous nous sommes réconciliés avec ceux qui portaient des armes. Nous les avons graciés, comment ne pas prôner le dialogue?».
La réconciliation de Homs ne fut pas le fruit d’une entente régionale et internationale «mais le fruit du dialogue entre les forces de la défense populaire et les rebelles. Ceux-là se connaissent les uns les autres. Ils sont des voisins. Pour cette raison la réconciliation a réussi. L’Etat a traité les hommes armés avec un grand respect, en dépit des blessures, du sang et des haines. Il leur a permis de sortir après avoir remis leurs armes, d’utiliser leurs portables et de vivre normalement».
Assad est convaincu, plus que jamais, de la capacité du peuple à franchir cette période obscure de l’histoire de la Syrie. Ce serait peut-être ce qui était derrière sa ténacité tout au long de la crise.
Il explique: «j’ai continué à recevoir les gens et les délégations chez moi ou j’allais chez eux. J’ai senti, depuis le premier instant de cette crise, provoquée dans notre pays pour le détruire, que la population avait confiance dans l’Etat, le président et l’armée. Les élections ont confirmé que cette confiance n’a pas été ébranlée, en dépit des médias, de la mobilisation, du takfir, du terrorisme et du complot extérieur».
Damas comme Moscou
La confiance d’Assad à l’égard de son peuple et de son armée, est soutenue par sa confiance en ses alliés. «Le président russe, Vladimir Poutine, soutient toujours la position syrienne, pour sa conviction selon laquelle les évènements en Syrie n’étaient pas engendrés par une colère populaire, mais plutôt par le désir de pays étrangers de détruire le pays et son rôle, en ayant recours même à la violation de toutes les lois internationales et des droits de l’autre. Le soutien russe a été renouvelé à plusieurs reprises, et dernièrement. Le président Poutine a lui-même expérimenté ce qu’a souffert la Syrie durant la guerre menée à son encontre. On a voulu que l’Etat russe, héritier de l’Union soviétique, sombre dans des conflits sur fonds terroristes, extrémistes ou séparatistes. Les exemples étaient multiples, en Tchétchénie, Géorgie et Ukraine. Poutine a voulu, en défendant la Syrie, non seulement confirmer notre alliance étroite, mais aussi rétablir l’équilibre dans un monde qui a souffert, depuis le démantèlement de l’Union soviétique et jusqu’à l’élection de Poutine, des effets du système unipolaire, dirigé par les Etats-Unis et l’occident».
Les émissaires russes sont nombreux à Damas. Le dernier, était le vice premier ministre, Dimitri Rogozine. Ses propos autour du soutien russe ont été marquants, tout comme ceux de Serguei Lavrov, de Pouchkine et d’autres. Peut-être un peu plus.
Grande confiance en les deux alliés, russe et iranien et des indices de changements en provenance des Etats-Unis et de l’occident
La conviction d’Assad quant à l’alliance avec la Russie et le soutien de Poutine est équivalente à sa grande confiance en la position iranienne. Le guide de la Révolution, sayed Ali Khamenei, a délivré plusieurs messages clairs de soutien. «L’allié iranien réalise que la guerre contre la Syrie le vise aussi, car l’axe de la résistance et ceux qui l’appuient en sont la cible». Le commandement iranien n’épargne aucune opportunité pour envoyer les signes de soutien. Il n’est pas surprenant que le président iranien, Hassan Rohani, émette des indices sur le désir de Téhéran d’apaiser la tempête turque qui s’est déchaînée contre la Syrie. «La Turquie a contribué à la guerre, mais a fait perdre à ce pays la plus grande partie de son rôle dans la région».
Ces propos revêtent d'une grande importance. Ils répondent à tous ceux qui croient que le rapprochement irano-américain en cours modifierait l’attitude de Téhéran à l’égard du commandement syrien.
Un sourire se dessine sur les lèvres d’Assad. Il avance comme d’habitude, une analyse stratégique, minutieuse, avec un réalisme pur, de tout le cadre régional et international. Celui qui l’écoute en tire les résultats suivants:
- «Ce n’est point l’allié iranien qui changera sa position à l’égard de la Syrie. Il campe sur sa position plus que ne le croient certains. Ce sont plutôt les Etats-Unis et les pays occidentaux qui comment à envoyer des signes de changement. Le terrorisme est au seuil de leurs maisons. Un Américain s’est fait exploser sur le territoire syrien. Un Français d’origine marocaine a tué des juifs dans une synagogue à Bruxelles».
- «L’occident ne pourra pas faire davantage pour changer l’équation. Ils parlent d’armes létales et non létales. Les terroristes possèdent tout genre d’armes depuis longtemps, y compris les armes antiaériennes».
- «Des responsables américains actuels et anciens tentent de communiquer avec nous, mais ils n’osent le faire en public à cause des lobbies qui exercent des pressions sur eux».
On évoque dans ce contexte l’ancien président américain, Jimmie Carter, qui voulait venir à Damas en 2007 et puis s’est excusé, expliquant que l’administration américaine ne le lui a pas permis. Assad confirme cette version des faits. Il ajoute une phrase qui illustre la relation avec les Etats-Unis à l’heure actuelle: «si un ancien président ne pouvait venir sans permission, quel serait le cas d’un responsable au pouvoir?». On pourrait déduire que la démarche du sénateur américain de la Virgine, ayant salué Assad et son armée face aux «criminels», n’était pas un cas isolé ou une initiative individuelle. Les détails seront évoqués plus tard dans l’histoire.
- «Les Américains ont prouvé qu’ils étaient plus raisonnables que les Français, en dépit de leur participation au complot. Il parait que l’une des raisons de l’intransigeance française est financière, découlant de transactions avec l’Arabie Saoudite et autres». La discussion converge vers la fin du mandat du président Nicolas Sarkozy par un scandale financier, tout comme fut le cas du mandat de Jack Chirac.
«Tous ceux qui ont comploté partiront. La Syrie demeurera, victorieuse, par toutes les composantes de son peuple et son armée».
Pour Assad, l’Etat de la région le plus hostile à la Syrie, après «Israël», est l’Arabie Saoudite. «Depuis le sommet de Beyrouth où Riyad a proposé la normalisation avec Israël, l’animosité s’est exacerbée. L’Arabie voulait avancer tout à Israël, sans contrepartie. Ce pays était alors obsédé par les réactions des Etats-Unis, en raison de l’implication de Saoudiens dans les attentats de New-York. Nous nous sommes opposés, moi et le président ami, Emile Lahhoud, contre les propositions saoudiennes. J’ai menacé l’émir Saoud el-Faysal de prononcer un discours qui dynamite l’initiative saoudienne si nos remarques et celles de l’axe de Résistance n’étaient pas prises en compte. J’ai alors dit: Vous signez l’initiative et vous quittez. Nous en assumerons les résultats en tant que pays de confrontation. Le roi s’est mis en colère, mais nous avons réussi à modifier l’initiative, pour qu’elle devienne moins mauvaise. Je pourrais revenir en arrière, à nos différends en 1989, durant le mandat du président, le feu Hafez Assad. Les différends se sont poursuivis dans les autres sommets arabes, mais nous étions soucieux de resserrer les rangs des arabes afin de soutenir la résistance. Lorsque la crise a éclaté en Syrie, le roi Abdallah a envoyé son fils Abdel Aziz pour nous demander d’écraser les rebelles, notamment les Frères musulmans, rapidement. Il a proposé son aide». Dans son interprétation de la position saoudienne, Assad combine entre les dictats américains et la haine personnelle, ce qui a produit la position hostile adoptée par l’Arabie».
Quant au Qatar, «ce pays appuie toujours et finance les rebelles. Mais il tente de se rapprocher de l’Iran et se dit prêt à modifier ses positions. Mais l’essentiel réside dans l’application. Nous en avons marre des slogans. L’important est que l’Arabie, le Qatar, la Turquie, et la France cessent le soutien du terrorisme, s’il voulaient vraiment un changement».
L’Arabie la plus hostile à la Syrie après «Israël»
Doha a envoyé des signes de changement, mais l’important est dans l’application.
La position turque n’a pas encore changé. Mais Assad est sure que le mouvement iranien vers Ankara «ne peut retarder les tentatives iraniennes pour faire cesser le soutien turc au terrorisme. Ce fait était apparent dans les propos du président Rohani».
L’appui dont jouit le terrorisme en Syrie pousse Assad à ne pas exagérer dans l’annonce de la date de la fin de la guerre. «Nous avons bloqué le complot sur le plan stratégique. L’Etat remportera la victoire même si du temps est nécessaire pour éliminer tous les terroristes. Mais fixer une date pour la fin de la guerre s’avère illogique, en ce moment. Le plus important est que le commandement, l’armée et le peuple sont convaincus de la victoire inéluctable. Lorsque la Syrie remportera la victoire, les Arabes et la résistance auraient freiné un des projets les plus périlleux pour la région».
Qu’en est-il de l’opposition de l’étranger? La réponse d’Assad qui avait rencontré de peu son concurrent à la présidentielle, Hassan Nouri, n’a pas changé. «Nous avons affirmé être favorables au dialogue, Nous avons dialogué avec les pires des rebelles. Mais que nous assurera le dialogue avec l’opposition de l’étranger ?. Rien, puisqu’elle n’a aucun pouvoir sur le terrain. Elle n’est point en relation avec la population ou avec la terre. Des pays occidentaux et arabes lui ont vendu des chimères. Les élections sont venues pour la dénuder. Le lendemain des élections est différent de ce qui précède. Les gens ont exprimé leur avis. Nous devons le respecter». Qu’en est-il de Genève? «Fini, les circonstances ont changé».
Lakhdar Brahimi, l’axe du doute
Les discussions abordent la médiation de Lakhdar Brahimi. Le regard d’Assad se rembrunit. L’émissaire international venait de prononcer des propos sur la possibilité de la transformation de la Syrie en Etat défaillant ou en Somalie. Le président évoque la troisième rencontre avec Brahimi en 2012, lorsqu’il est venu lui conseiller de démissionner. Celui qui écoute Assad estime que Brahimi n’a jamais été un médiateur impartial. Non seulement en ce moment, même durant la guerre contre le Liban. Des doutes planent aussi sur les raisons de la nomination du dernier à l’ONU. Nul arabe ne peut occuper de tels postes, si longtemps, sans la bénédiction américaine. Les Etats-Unis ne peuvent être satisfaits d’un homme qui fait preuve d’amitié à un pays résistant comme la Syrie. Celui qui écoute ces propos doit en déduire la signification.
Aoun, l’intègre
Assad a toujours tendance à évoquer les stratégies, plus que les détails, en dépit de sa connaissance exacte de ces derniers. Le Liban est peut être devenu un détail dans le contexte des grandes mutations sur la scène internationale. L’allié permanent, le plus important, sayed Hassan Nasrallah, est la base. «Sayed Nasrallah ne s’est jamais exprimé que sur sa sympathie et son soutien que la Syrie et les Syriens n’oublieront jamais. Ce qu’il juge bon au Liban nous l’approuvons». Dans cette attitude beaucoup d’affection, mais aussi de réalisme dans l’analyse des faits. Les choix de l’allié résistant «ont contribué à la cessation du terrorisme en provenance du Liban ou de le limiter au maximum, en dépit du clivage intérieur». Le général Aoun semble le candidat préféré par Assad dans la course à la présidence. Il se rappelle de plusieurs positions prises par Aoun dans le passé, lors de sa visite en Syrie pour présenter ses condoléances lors du décès du frère du président. Il s’était réconcilié avec un haut officier syrien qui était responsable au Liban durant le soulèvement d’Aoun contre la Syrie. «Depuis ce moment-là, Aoun a révélé un caractère intègre, honnête, honorable dans le contentieux et honorable dans la réconciliation. Il est resté fidèle à sa position à notre égard, en dépit des émotions et des tentations. Nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures d’aucun pays arabe, mais nous applaudirons l’élection d’Aoun à la présidence, dans l’intérêt du Liban en premier lieu et des relations fraternelles avec ce pays. A notre connaissance, cet homme est patriote, non confessionnel, et croyant en la résistance et l’arabité».
Assad ne transcrit pas ses mémoires. Cependant, il se rappelle de maints détails, même s’il préfère parler de stratégie. Il aborde plusieurs questions, tout en inspirant à son interlocuteur qu’il s’intéresse à une seule. Sa manière de parler est similaire à son mouvement incessant. Si ce n’était celui des mains, ce serait celui de la vitalité de l’entretien. Rien ne conteste la vitalité du dialogue sauf la vision posée. Flegmatique. Inébranlable. Il parait plus que jamais confiant « de la victoire inévitable, même si elle nécessite du temps».
Il explique comment l’Etat a commencé à établir les plans de la reconstruction, du rapatriement des réfugiés, du traitement des conditions de vie de la population et de l’Economie, dans la prochaine période.
Au début de son troisième mandat, Assad parait comme si cette guerre est désormais du passé. La prochaine période confirmerait ce fait, surtout après la reprise d’Alep. Lorsque les grandes villes seront aux mains de l’armée débutera le chantier «de la reconstruction de la Syrie, meilleure que dans le passé».
Ce n’est pas par pure coïncidence que le visiteur de Damas remarque des banderoles portant les noms d’anciennes sociétés damascènes. Il est évident que le capital sunnite jouera le rôle principal dans la reconstruction, tout comme «toutes les communautés qui ont contribué à la défense de la patrie pour empêcher le confessionnalisme de détruire l’Etat laïc».
Assad ne trouve pas de raisons confessionnelles derrière la guerre, même si certains medias ont exagéré dans la fabrication des images confessionnelles. Les exemples abondent dans les propos du président, dont notamment «les attaques des takfiris et des terroristes contre les sunnites modérés et les adeptes du soufisme ancestral».
Grand est l’espoir et les attentes d’Assad. Les déflagrations des obus se succèdent. Le début du troisième mandat sera une course entre l’espoir et les mortiers. Mais le président espère que la guerre se terminera. Surement. Sans ces bruits, Damas aurait semblé, par ses embouteillages, sa population, la présence efficace de l’Etat et la prospérité de ses restaurants, comme si elle a récupéré sa vie normale. Voire très normale.
Article paru dans le quotidien libanais Al-Akhbar, traduit par l'équipe du site
Il maintient sa sveltesse et son allure élégante comme dans les moments de paix. Il s’intéresse au sport et à sa famille, en dépit de l’ampleur des dossiers politiques et sécuritaires dont il suit les détails personnellement, tout au long de la journée. Toux ceux qui étaient à ses côtés, durant les années de la guerre, reconnaissent qu’il avait gardé son sang-froid, plus que les autres. Il n’a jamais été perturbé. Certains racontent que lors de l’annonce par le président américain de l’heure H pour le début de l’offensive à laquelle il a plus tard renoncé, Assad était, jusqu’aux derniers instants, en contact direct avec ses adjoints. Il s’enquérait de l’état de chacun d’eux.
Lorsqu’un attentat a visé un des bureaux du président de la Sûreté de l’Etat, le général Ali Mamlouk, Assad était le premier à contacter ce dernier, lui recommandant de ne pas sortir par crainte d’une deuxième explosion. Nul n’a de réponse claire sur les raisons de ce calme. Les facteurs de confiance et de conviction étaient rares durant la guerre. Malgré ce fait, Assad répétait que la Syrie subissait un complot étranger et que le terrorisme se déploiera et puis sera de retour pour faire exploser ses sources d'origine. Aujourd’hui, il sent qu’il avait eu raison. «L’occident a adopté, même très tard, ce que j’avais affirmé dans mon premier discours au début de la crise. Il a senti que le feu s’étend vers son territoire».
Damas. Depuis le premier instant du passage de la frontière, les banderoles soutenant le président Assad attirent les regards. Elles portent toutes sa signature et le slogan de la campagne électorale «Sawa» (ensemble). Un fait attire l’attention. De grandes sociétés syriennes et de célèbres noms de marques commerciales et de figures connues placent leurs noms sur les banderoles pour que le lecteur sache l’identité de celui qui l’a offerte. Ce fait n’était pas possible dans les dernières années. Certains loyalistes tentaient de s’éloigner tant que mal du soutien public du régime. Les empreintes du capital damascène sont claires.
Le slogan «Sawa» sera-t-il vraiment celui de la prochaine période?
Assad en est convaincu. Il dit: «le dialogue, la culture du dialogue et habituer les gens à dialoguer avec l’autre» sont les slogans de cette période. La justesse de cette attitude a été confirmée dans plusieurs réconciliations. «Nous nous sommes réconciliés avec ceux qui portaient des armes. Nous les avons graciés, comment ne pas prôner le dialogue?».
La réconciliation de Homs ne fut pas le fruit d’une entente régionale et internationale «mais le fruit du dialogue entre les forces de la défense populaire et les rebelles. Ceux-là se connaissent les uns les autres. Ils sont des voisins. Pour cette raison la réconciliation a réussi. L’Etat a traité les hommes armés avec un grand respect, en dépit des blessures, du sang et des haines. Il leur a permis de sortir après avoir remis leurs armes, d’utiliser leurs portables et de vivre normalement».
Assad est convaincu, plus que jamais, de la capacité du peuple à franchir cette période obscure de l’histoire de la Syrie. Ce serait peut-être ce qui était derrière sa ténacité tout au long de la crise.
Il explique: «j’ai continué à recevoir les gens et les délégations chez moi ou j’allais chez eux. J’ai senti, depuis le premier instant de cette crise, provoquée dans notre pays pour le détruire, que la population avait confiance dans l’Etat, le président et l’armée. Les élections ont confirmé que cette confiance n’a pas été ébranlée, en dépit des médias, de la mobilisation, du takfir, du terrorisme et du complot extérieur».
Damas comme Moscou
La confiance d’Assad à l’égard de son peuple et de son armée, est soutenue par sa confiance en ses alliés. «Le président russe, Vladimir Poutine, soutient toujours la position syrienne, pour sa conviction selon laquelle les évènements en Syrie n’étaient pas engendrés par une colère populaire, mais plutôt par le désir de pays étrangers de détruire le pays et son rôle, en ayant recours même à la violation de toutes les lois internationales et des droits de l’autre. Le soutien russe a été renouvelé à plusieurs reprises, et dernièrement. Le président Poutine a lui-même expérimenté ce qu’a souffert la Syrie durant la guerre menée à son encontre. On a voulu que l’Etat russe, héritier de l’Union soviétique, sombre dans des conflits sur fonds terroristes, extrémistes ou séparatistes. Les exemples étaient multiples, en Tchétchénie, Géorgie et Ukraine. Poutine a voulu, en défendant la Syrie, non seulement confirmer notre alliance étroite, mais aussi rétablir l’équilibre dans un monde qui a souffert, depuis le démantèlement de l’Union soviétique et jusqu’à l’élection de Poutine, des effets du système unipolaire, dirigé par les Etats-Unis et l’occident».
Les émissaires russes sont nombreux à Damas. Le dernier, était le vice premier ministre, Dimitri Rogozine. Ses propos autour du soutien russe ont été marquants, tout comme ceux de Serguei Lavrov, de Pouchkine et d’autres. Peut-être un peu plus.
Grande confiance en les deux alliés, russe et iranien et des indices de changements en provenance des Etats-Unis et de l’occident
La conviction d’Assad quant à l’alliance avec la Russie et le soutien de Poutine est équivalente à sa grande confiance en la position iranienne. Le guide de la Révolution, sayed Ali Khamenei, a délivré plusieurs messages clairs de soutien. «L’allié iranien réalise que la guerre contre la Syrie le vise aussi, car l’axe de la résistance et ceux qui l’appuient en sont la cible». Le commandement iranien n’épargne aucune opportunité pour envoyer les signes de soutien. Il n’est pas surprenant que le président iranien, Hassan Rohani, émette des indices sur le désir de Téhéran d’apaiser la tempête turque qui s’est déchaînée contre la Syrie. «La Turquie a contribué à la guerre, mais a fait perdre à ce pays la plus grande partie de son rôle dans la région».
Ces propos revêtent d'une grande importance. Ils répondent à tous ceux qui croient que le rapprochement irano-américain en cours modifierait l’attitude de Téhéran à l’égard du commandement syrien.
Un sourire se dessine sur les lèvres d’Assad. Il avance comme d’habitude, une analyse stratégique, minutieuse, avec un réalisme pur, de tout le cadre régional et international. Celui qui l’écoute en tire les résultats suivants:
- «Ce n’est point l’allié iranien qui changera sa position à l’égard de la Syrie. Il campe sur sa position plus que ne le croient certains. Ce sont plutôt les Etats-Unis et les pays occidentaux qui comment à envoyer des signes de changement. Le terrorisme est au seuil de leurs maisons. Un Américain s’est fait exploser sur le territoire syrien. Un Français d’origine marocaine a tué des juifs dans une synagogue à Bruxelles».
- «L’occident ne pourra pas faire davantage pour changer l’équation. Ils parlent d’armes létales et non létales. Les terroristes possèdent tout genre d’armes depuis longtemps, y compris les armes antiaériennes».
- «Des responsables américains actuels et anciens tentent de communiquer avec nous, mais ils n’osent le faire en public à cause des lobbies qui exercent des pressions sur eux».
On évoque dans ce contexte l’ancien président américain, Jimmie Carter, qui voulait venir à Damas en 2007 et puis s’est excusé, expliquant que l’administration américaine ne le lui a pas permis. Assad confirme cette version des faits. Il ajoute une phrase qui illustre la relation avec les Etats-Unis à l’heure actuelle: «si un ancien président ne pouvait venir sans permission, quel serait le cas d’un responsable au pouvoir?». On pourrait déduire que la démarche du sénateur américain de la Virgine, ayant salué Assad et son armée face aux «criminels», n’était pas un cas isolé ou une initiative individuelle. Les détails seront évoqués plus tard dans l’histoire.
- «Les Américains ont prouvé qu’ils étaient plus raisonnables que les Français, en dépit de leur participation au complot. Il parait que l’une des raisons de l’intransigeance française est financière, découlant de transactions avec l’Arabie Saoudite et autres». La discussion converge vers la fin du mandat du président Nicolas Sarkozy par un scandale financier, tout comme fut le cas du mandat de Jack Chirac.
«Tous ceux qui ont comploté partiront. La Syrie demeurera, victorieuse, par toutes les composantes de son peuple et son armée».
Pour Assad, l’Etat de la région le plus hostile à la Syrie, après «Israël», est l’Arabie Saoudite. «Depuis le sommet de Beyrouth où Riyad a proposé la normalisation avec Israël, l’animosité s’est exacerbée. L’Arabie voulait avancer tout à Israël, sans contrepartie. Ce pays était alors obsédé par les réactions des Etats-Unis, en raison de l’implication de Saoudiens dans les attentats de New-York. Nous nous sommes opposés, moi et le président ami, Emile Lahhoud, contre les propositions saoudiennes. J’ai menacé l’émir Saoud el-Faysal de prononcer un discours qui dynamite l’initiative saoudienne si nos remarques et celles de l’axe de Résistance n’étaient pas prises en compte. J’ai alors dit: Vous signez l’initiative et vous quittez. Nous en assumerons les résultats en tant que pays de confrontation. Le roi s’est mis en colère, mais nous avons réussi à modifier l’initiative, pour qu’elle devienne moins mauvaise. Je pourrais revenir en arrière, à nos différends en 1989, durant le mandat du président, le feu Hafez Assad. Les différends se sont poursuivis dans les autres sommets arabes, mais nous étions soucieux de resserrer les rangs des arabes afin de soutenir la résistance. Lorsque la crise a éclaté en Syrie, le roi Abdallah a envoyé son fils Abdel Aziz pour nous demander d’écraser les rebelles, notamment les Frères musulmans, rapidement. Il a proposé son aide». Dans son interprétation de la position saoudienne, Assad combine entre les dictats américains et la haine personnelle, ce qui a produit la position hostile adoptée par l’Arabie».
Quant au Qatar, «ce pays appuie toujours et finance les rebelles. Mais il tente de se rapprocher de l’Iran et se dit prêt à modifier ses positions. Mais l’essentiel réside dans l’application. Nous en avons marre des slogans. L’important est que l’Arabie, le Qatar, la Turquie, et la France cessent le soutien du terrorisme, s’il voulaient vraiment un changement».
L’Arabie la plus hostile à la Syrie après «Israël»
Doha a envoyé des signes de changement, mais l’important est dans l’application.
La position turque n’a pas encore changé. Mais Assad est sure que le mouvement iranien vers Ankara «ne peut retarder les tentatives iraniennes pour faire cesser le soutien turc au terrorisme. Ce fait était apparent dans les propos du président Rohani».
L’appui dont jouit le terrorisme en Syrie pousse Assad à ne pas exagérer dans l’annonce de la date de la fin de la guerre. «Nous avons bloqué le complot sur le plan stratégique. L’Etat remportera la victoire même si du temps est nécessaire pour éliminer tous les terroristes. Mais fixer une date pour la fin de la guerre s’avère illogique, en ce moment. Le plus important est que le commandement, l’armée et le peuple sont convaincus de la victoire inéluctable. Lorsque la Syrie remportera la victoire, les Arabes et la résistance auraient freiné un des projets les plus périlleux pour la région».
Qu’en est-il de l’opposition de l’étranger? La réponse d’Assad qui avait rencontré de peu son concurrent à la présidentielle, Hassan Nouri, n’a pas changé. «Nous avons affirmé être favorables au dialogue, Nous avons dialogué avec les pires des rebelles. Mais que nous assurera le dialogue avec l’opposition de l’étranger ?. Rien, puisqu’elle n’a aucun pouvoir sur le terrain. Elle n’est point en relation avec la population ou avec la terre. Des pays occidentaux et arabes lui ont vendu des chimères. Les élections sont venues pour la dénuder. Le lendemain des élections est différent de ce qui précède. Les gens ont exprimé leur avis. Nous devons le respecter». Qu’en est-il de Genève? «Fini, les circonstances ont changé».
Lakhdar Brahimi, l’axe du doute
Les discussions abordent la médiation de Lakhdar Brahimi. Le regard d’Assad se rembrunit. L’émissaire international venait de prononcer des propos sur la possibilité de la transformation de la Syrie en Etat défaillant ou en Somalie. Le président évoque la troisième rencontre avec Brahimi en 2012, lorsqu’il est venu lui conseiller de démissionner. Celui qui écoute Assad estime que Brahimi n’a jamais été un médiateur impartial. Non seulement en ce moment, même durant la guerre contre le Liban. Des doutes planent aussi sur les raisons de la nomination du dernier à l’ONU. Nul arabe ne peut occuper de tels postes, si longtemps, sans la bénédiction américaine. Les Etats-Unis ne peuvent être satisfaits d’un homme qui fait preuve d’amitié à un pays résistant comme la Syrie. Celui qui écoute ces propos doit en déduire la signification.
Aoun, l’intègre
Assad a toujours tendance à évoquer les stratégies, plus que les détails, en dépit de sa connaissance exacte de ces derniers. Le Liban est peut être devenu un détail dans le contexte des grandes mutations sur la scène internationale. L’allié permanent, le plus important, sayed Hassan Nasrallah, est la base. «Sayed Nasrallah ne s’est jamais exprimé que sur sa sympathie et son soutien que la Syrie et les Syriens n’oublieront jamais. Ce qu’il juge bon au Liban nous l’approuvons». Dans cette attitude beaucoup d’affection, mais aussi de réalisme dans l’analyse des faits. Les choix de l’allié résistant «ont contribué à la cessation du terrorisme en provenance du Liban ou de le limiter au maximum, en dépit du clivage intérieur». Le général Aoun semble le candidat préféré par Assad dans la course à la présidence. Il se rappelle de plusieurs positions prises par Aoun dans le passé, lors de sa visite en Syrie pour présenter ses condoléances lors du décès du frère du président. Il s’était réconcilié avec un haut officier syrien qui était responsable au Liban durant le soulèvement d’Aoun contre la Syrie. «Depuis ce moment-là, Aoun a révélé un caractère intègre, honnête, honorable dans le contentieux et honorable dans la réconciliation. Il est resté fidèle à sa position à notre égard, en dépit des émotions et des tentations. Nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures d’aucun pays arabe, mais nous applaudirons l’élection d’Aoun à la présidence, dans l’intérêt du Liban en premier lieu et des relations fraternelles avec ce pays. A notre connaissance, cet homme est patriote, non confessionnel, et croyant en la résistance et l’arabité».
Assad ne transcrit pas ses mémoires. Cependant, il se rappelle de maints détails, même s’il préfère parler de stratégie. Il aborde plusieurs questions, tout en inspirant à son interlocuteur qu’il s’intéresse à une seule. Sa manière de parler est similaire à son mouvement incessant. Si ce n’était celui des mains, ce serait celui de la vitalité de l’entretien. Rien ne conteste la vitalité du dialogue sauf la vision posée. Flegmatique. Inébranlable. Il parait plus que jamais confiant « de la victoire inévitable, même si elle nécessite du temps».
Il explique comment l’Etat a commencé à établir les plans de la reconstruction, du rapatriement des réfugiés, du traitement des conditions de vie de la population et de l’Economie, dans la prochaine période.
Au début de son troisième mandat, Assad parait comme si cette guerre est désormais du passé. La prochaine période confirmerait ce fait, surtout après la reprise d’Alep. Lorsque les grandes villes seront aux mains de l’armée débutera le chantier «de la reconstruction de la Syrie, meilleure que dans le passé».
Ce n’est pas par pure coïncidence que le visiteur de Damas remarque des banderoles portant les noms d’anciennes sociétés damascènes. Il est évident que le capital sunnite jouera le rôle principal dans la reconstruction, tout comme «toutes les communautés qui ont contribué à la défense de la patrie pour empêcher le confessionnalisme de détruire l’Etat laïc».
Assad ne trouve pas de raisons confessionnelles derrière la guerre, même si certains medias ont exagéré dans la fabrication des images confessionnelles. Les exemples abondent dans les propos du président, dont notamment «les attaques des takfiris et des terroristes contre les sunnites modérés et les adeptes du soufisme ancestral».
Grand est l’espoir et les attentes d’Assad. Les déflagrations des obus se succèdent. Le début du troisième mandat sera une course entre l’espoir et les mortiers. Mais le président espère que la guerre se terminera. Surement. Sans ces bruits, Damas aurait semblé, par ses embouteillages, sa population, la présence efficace de l’Etat et la prospérité de ses restaurants, comme si elle a récupéré sa vie normale. Voire très normale.
Article paru dans le quotidien libanais Al-Akhbar, traduit par l'équipe du site