Entretien Poutine-Bandar: compte-rendu publié par Assafir
Un rapport diplomatique relate les résultats de l’entretien orageux, tenu entre le président russe, Vladimir Poutine et le chef des Renseignements saoudiens, Bandar Ben Sultan, en juillet dernier.
On déduit de ce rapport, que toute la région qui s’étend de l’Afrique du nord, jusqu’en Tchétchénie et l’Iran, passant par la Syrie, voire le Moyen Orient, est désormais sous l’influence d’une confrontation américano-russe ouverte. «On ne peut écarter la possibilité selon laquelle les faits au Liban prendraient une tournure dramatique, sur le plan politique et sécuritaire, à l’ombre d’une grande décision saoudienne de riposter à l’enrôlement du Hezbollah dans la guerre syrienne», estiment des analystes.
Le rapport diplomatique publié par le quotidien libanais Assafir, expose au début, les circonstances de la tenue de la rencontre russo-saoudienne.
Le rapport indique que l’émir Bandar, en coordination avec les responsables américains et certains partenaires européens, a proposé au monarque saoudien, Abdallah Ben Abdel Aziz, de se rendre à Moscou, où il utilisera la politique de la carotte et du bâton, adoptée par la majorité des médiateurs.
Bandar comptait recourir à la tentation dans différents domaines politiques, économiques militaires et sécuritaires, en contrepartie à des concessions russes dans plusieurs dossiers, notamment en Syrie et en Iran.
Le roi Abdallah a donné son consentement. Il a contacté le président russe dans la matinée du 30 juillet. Les deux hommes se sont mis d’accord sur le voyage du chef des renseignements saoudiens à Moscou, où les entretiens seraient confidentiels.
Dès l’arrivée de Bandar à Moscou, la visite fut entourée de mesures secrètes. Même l’ambassade saoudienne n’a pas pris les dispositions prises habituellement avec l’arrivée de responsables saoudiens en Russie.
Une réunion préliminaire fut tenue entre le directeur des renseignements militaires russes, le général Igor Dmitrievich Sergun et son homologue saoudien. La réunion a porté sur la coopération sécuritaire entre les deux pays.
Bandar s’est ensuite rendu à une des demeures du président russe dans la banlieue de la capitale russe, où il a tenu un entretien à huis-clos de quatre heures avec Poutine, durant lequel fut débattu un ordre du jour comprenant des affaires communes et autres relatives à des dossiers régionaux et internationaux.
Les relations bilatérales
Dans le contexte des relations bilatérales, Bandar a transmis à Poutine les salutations du roi saoudien, son insistance sur l’importance du développement des relations et son consentement à tout accord convenu entre les deux parties. «Tout accord entre nos deux pays, ne sera pas une entente russo-saoudienne, mais aussi russo-américaine. J’ai moi-même communiqué les responsables américains avant la visite. Ils se sont engagés à se conformer à notre accord, surtout si nous parvenons à une approche commune concernant le dossier syrien», a précisé Bandar à son hôte.
L’émir saoudien a souligné l’importance du développement des relations bilatérales, estimant que le langage des intérêts communs pourrait renforcer la coopération. Il a donné plusieurs exemples dans les domaines économiques, dont les investissements, le secteur pétrolier et militaire.
«Nous avons plusieurs valeurs et objectifs communs, en l’occurrence la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme partout dans le monde. Les points de vue de la Russie, des États-Unis, de l’Union européenne et des Saoudiens convergent sur la question de la consolidation de la sécurité et paix internationales. Le danger du terrorisme augmente à l’ombre des phénomènes émergés suite au ‘’Printemps arabe‘’. Nous avons perdu des régimes et gagné des expériences de terrorisme, illustrées par celle des Frères Musulmans en Egypte et des groupes extrémistes en Libye», a ajouté Bandar devant le président russe.
Et de poursuivre: «Je suis en mesure de vous donner la garantie de protéger les jeux olympiques d’hiver à Sotchi, prévus l’année prochaine. Nous contrôlons les groupes tchétchènes qui menacent cette session des jeux. D’ailleurs, la participation de ces groupes au conflit syrien fut coordonnée avec nous. Nous ne les craignons pas. Nous les utilisons pour affronter le régime syrien. Ils n’auront aucune influence sur l’avenir politique de la Syrie».
Poutine a répondu, remerciant le roi Abdallah pour son message et Bandar pour ses propos. Il a dit: «Nous savons que vous aviez soutenu les groupes terroristes tchétchènes tout au long d’une décennie. Ce soutien évoqué dans votre discours ne se concilie pas avec vos propos sur les objectifs communs quant à la lutte contre le terrorisme international. Nous sommes intéressés par le développement des relations amicales, selon des règles claires et fermes».
Bandar a précisé dans ce contexte que cette question (l’appui des groupes extrémistes) ne relevait pas uniquement du royaume saoudien. Selon ses propos, certains pays ont dépassé leur rôle prévu, tel, la Turquie et le Qatar. «Nous l’avions dit directement aux Qataris et aux Turcs. Nous refusons leur soutien illimité aux Frères Musulmans en Égypte et ailleurs. Le rôle des Turcs ces jours-ci est similaire à celui du Pakistan durant la guerre afghane. Nous ne favorisons pas les régimes religieux extrémistes. Nous voulons établir des régimes modérés dans toute la région. L’expérience de l’Égypte est significative. Nous la suivons de près et poursuivrons notre appui au ministre de la Défense, le général Abdel Fattah Sissi, car ce dernier veut maintenir de bonnes relations avec nos deux pays. Nous vous proposons de communiquer avec lui, de lui fournir le soutien et de lui assurer les meilleures conditions pour faire réussir l’expérience égyptienne. Nous sommes prêts à conclure des transactions d’armes avec votre pays, dans l’intérêt de ces régimes, notamment de l’Égypte».
La coopération économique et pétrolière
Bandar a exposé devant son hôte les éventuels domaines de coopération entre la Russie et l’Arabie, si une entente est établie autour de plusieurs dossiers, notamment la Syrie.
Il a évoqué la coopération dans les domaines des investissements et du pétrole, appelant la Russie à élaborer une stratégie russo-saoudienne commune à l’égard du dossier pétrolier. «Notre objectif serait de nous entendre sur le prix du pétrole et les quantités de la production afin de maintenir le prix international et la stabilité dans les marches pétroliers».
Et Bandar d’ajouter: «Nous comprenons le grand intérêt porté par la Russie au dossier pétrolier et gazier dans la Méditerranée, à partir d’Israël, de Chypre, passant par le Liban et la Syrie. Nous comprenons l’importance vitale des gazoducs russes pour canaliser le gaz vers l’Europe. Nous n’avons pas l’intention de vous faire concurrence. On peut coopérer dans ce domaine, comme dans ceux de la construction des raffineries et de l’industrie pétrochimique. Le royaume est en mesure d’assurer d’énormes investissements estimés à des milliards de dollars dans différents secteurs dans les marchés russes. Mais l’importance réside dans les ententes politiques que nous pourrons conclure autour de plusieurs dossiers, notamment iranien et syrien».
Poutine a répondu que les idées avancées méritaient d’être débattues entre les ministères concernés des deux pays.
La Syrie …en premier
Dans une longue intervention, Bandar a exposé le développement des positions saoudiennes à l’égard de la crise syrienne, à partir du premier incident de Deraa arrivant aux évènements récents. «Pour nous, et pour la majorité du peuple syrien, le régime syrien est fini. La majorité du peuple ne permettra pas à Bachar Assad de rester à la tête du pouvoir. La clé des relations entre nos deux pays réside dans votre compréhension de notre approche à l’égard du dossier syrien. Sur ce, vous devez cesser votre appui politique au régime surtout au Conseil de sécurité, ainsi que votre appui militaire et économique. Nous vous donnons la garantie de ne pas affecter, d’un iota, les intérêts de la Russie en Syrie et sur la côte de la Méditerranée. La Syrie sera gouvernée dans l’avenir par un régime démocratique, modéré, sous notre parrainage direct. Il serait dans son intérêt de respecter les intérêts de la Russie et son rôle dans la région».
Fermeté russe en faveur de l’Iran
Bandar a ensuite abordé l’approche saoudienne à l’égard du rôle régional de l’Iran, notamment en Irak, en Syrie, au Liban, en Palestine, au Yémen, à Bahreïn et dans d’autres pays. Il a souhaité que «la Russie comprenne le fait que les intérêts de la Russie et celles des pays du Golfe sont les mêmes face aux défis et aux ambitions nucléaires iraniennes».
Pour sa part, Poutine a expliqué la position de son pays à l’égard des développements du «printemps arabe», surtout sur la scène libyenne. «Nous sommes beaucoup inquiets pour l’Égypte. Nous pouvons comprendre les mesures prises par l’armée égyptienne, mais nous sommes prudents dans nos approches par crainte d’un glissement vers une guerre civile qui serait couteuse pour les Égyptiens, les Arabes et la communauté internationale. Moi-même, je comptais faire une visite éclair en Égypte. Cette question est toujours objet de discussion», a-t-il dit.
Concernant l’Iran, Poutine a indiqué au responsable saoudien que l’Iran était un pays voisin avec lequel la Russie entretenait de bonnes relations depuis des siècles, notant que les deux pays étaient liés par des intérêts communs.
«Nous soutenons l’obtention par les Iraniens des combustibles nucléaires pour des objectifs pacifiques. Nous les avons aidés à moderniser leurs installations pour cette fin. Nous poursuivrons bien sûr les négociations avec l’Iran dans le cadre du G5+1. Je rencontrerai dans ce contexte le président Hassan Rohani, en marge du sommet des pays de l’Asie centrale. Nous aborderons plusieurs dossiers de coopération bilatérale, régionale et internationale. J’informerai le président iranien de notre ferme rejet de toute imposition de nouvelles sanctions internationales contre l’Iran en Conseil de sécurité. La Russie est convaincue que les sanctions prises dans le passé contre l’Iran étaient injustes. Nous ne répèterons pas cette expérience».
Erdogan à Moscou en septembre
Concernant la Turquie, Poutine a évoqué son amitié avec le premier ministre turc, Recep Tayyeb Erdogan. «La Turquie est aussi un pays voisin auquel nous sommes liés par des intérêts communs. Nous sommes attachés au développement de nos relations dans différents domaines. Durant les entretiens turco-russes, nous avions énuméré les questions controversées entre les deux pays et celles que nous convenons. Il s’est avéré que les points communs sont plus nombreux. J’ai moi-même informé les responsables turcs et je le répèterai à mon ami Erdogan, que ce qui se déroule en Syrie nécessite une approche différente de leur part. La Turquie ne sera pas épargnée par le bain du sang en Syrie. Ils doivent être les plus enthousiastes pour un règlement politique de la crise syrienne. Nous sommes sûrs que le consensus politique en Syrie est inévitable, pour cela, ils doivent réduire l’ampleur des pertes. Nos différends politiques avec les Turcs dans le dossier syrien n’affecteront pas la coopération au niveau économique et des investissements. Nous leurs avons confirmé notre disposition à coopérer avec eux pour bâtir deux réacteurs nucléaires. Cette question sera d’ailleurs inscrite à l’agenda de la visite du premier ministre turc à Moscou en septembre».
Poutine: Notre position à l’égard d’Assad ne changera point
A propos de la Syrie, le président russe a répondu au responsable saoudien en disant: «Notre position à l’égard du régime syrien ne changera point. Nous estimons que le régime syrien est le meilleur à s’exprimer au nom du peuple syrien et non les cannibales, mangeurs des foies. A Genève 1, nous nous sommes mis d’accord avec les Américains sur un package deal. Les responsables américains avaient accepté la participation du régime à tout règlement politique de la crise. Plus tard, ils ont décidé de transgresser l’accord conclu à Genève…Durant toutes les réunions entre les experts russes et américains, nous avons répété notre position initiale. Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, soulignera durant son entretien prévu avec son homologue américain, John Kerry, l’importance de déployer tous les efforts possibles pour parvenir à un règlement politique de la crise syrienne , dans les plus proches délais, afin de cesser l’effusion de sang».
Le chef des renseignements saoudiens a répondu que le différend autour du dossier syrien aboutit à un constat unique selon lequel, l’option militaire serait le seul choix possible à l’heure actuelle, à l’ombre de l’impossibilité du consensus politique. «Nous estimons que la tenue de la conférence de Genève 2 sera difficile dans ce climat embrasé», a-t-il ajouté.
Les deux parties, russe et saoudienne, ont convenu au terme des pourparlers de poursuivre leurs concertations et de ne pas dévoiler la teneur de l’entretien confidentiel…Plus tard, une des deux parties a divulgué les données relatives à l’entretien, dans la presse russe en premier lieu.
Article paru le mercredi 21 août dans le quotidien libanais As-Safir, traduit par l'équipe du site
On déduit de ce rapport, que toute la région qui s’étend de l’Afrique du nord, jusqu’en Tchétchénie et l’Iran, passant par la Syrie, voire le Moyen Orient, est désormais sous l’influence d’une confrontation américano-russe ouverte. «On ne peut écarter la possibilité selon laquelle les faits au Liban prendraient une tournure dramatique, sur le plan politique et sécuritaire, à l’ombre d’une grande décision saoudienne de riposter à l’enrôlement du Hezbollah dans la guerre syrienne», estiment des analystes.
Le rapport diplomatique publié par le quotidien libanais Assafir, expose au début, les circonstances de la tenue de la rencontre russo-saoudienne.
Le rapport indique que l’émir Bandar, en coordination avec les responsables américains et certains partenaires européens, a proposé au monarque saoudien, Abdallah Ben Abdel Aziz, de se rendre à Moscou, où il utilisera la politique de la carotte et du bâton, adoptée par la majorité des médiateurs.
Bandar comptait recourir à la tentation dans différents domaines politiques, économiques militaires et sécuritaires, en contrepartie à des concessions russes dans plusieurs dossiers, notamment en Syrie et en Iran.
Le roi Abdallah a donné son consentement. Il a contacté le président russe dans la matinée du 30 juillet. Les deux hommes se sont mis d’accord sur le voyage du chef des renseignements saoudiens à Moscou, où les entretiens seraient confidentiels.
Dès l’arrivée de Bandar à Moscou, la visite fut entourée de mesures secrètes. Même l’ambassade saoudienne n’a pas pris les dispositions prises habituellement avec l’arrivée de responsables saoudiens en Russie.
Une réunion préliminaire fut tenue entre le directeur des renseignements militaires russes, le général Igor Dmitrievich Sergun et son homologue saoudien. La réunion a porté sur la coopération sécuritaire entre les deux pays.
Bandar s’est ensuite rendu à une des demeures du président russe dans la banlieue de la capitale russe, où il a tenu un entretien à huis-clos de quatre heures avec Poutine, durant lequel fut débattu un ordre du jour comprenant des affaires communes et autres relatives à des dossiers régionaux et internationaux.
Les relations bilatérales
Dans le contexte des relations bilatérales, Bandar a transmis à Poutine les salutations du roi saoudien, son insistance sur l’importance du développement des relations et son consentement à tout accord convenu entre les deux parties. «Tout accord entre nos deux pays, ne sera pas une entente russo-saoudienne, mais aussi russo-américaine. J’ai moi-même communiqué les responsables américains avant la visite. Ils se sont engagés à se conformer à notre accord, surtout si nous parvenons à une approche commune concernant le dossier syrien», a précisé Bandar à son hôte.
L’émir saoudien a souligné l’importance du développement des relations bilatérales, estimant que le langage des intérêts communs pourrait renforcer la coopération. Il a donné plusieurs exemples dans les domaines économiques, dont les investissements, le secteur pétrolier et militaire.
«Nous avons plusieurs valeurs et objectifs communs, en l’occurrence la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme partout dans le monde. Les points de vue de la Russie, des États-Unis, de l’Union européenne et des Saoudiens convergent sur la question de la consolidation de la sécurité et paix internationales. Le danger du terrorisme augmente à l’ombre des phénomènes émergés suite au ‘’Printemps arabe‘’. Nous avons perdu des régimes et gagné des expériences de terrorisme, illustrées par celle des Frères Musulmans en Egypte et des groupes extrémistes en Libye», a ajouté Bandar devant le président russe.
Et de poursuivre: «Je suis en mesure de vous donner la garantie de protéger les jeux olympiques d’hiver à Sotchi, prévus l’année prochaine. Nous contrôlons les groupes tchétchènes qui menacent cette session des jeux. D’ailleurs, la participation de ces groupes au conflit syrien fut coordonnée avec nous. Nous ne les craignons pas. Nous les utilisons pour affronter le régime syrien. Ils n’auront aucune influence sur l’avenir politique de la Syrie».
Poutine a répondu, remerciant le roi Abdallah pour son message et Bandar pour ses propos. Il a dit: «Nous savons que vous aviez soutenu les groupes terroristes tchétchènes tout au long d’une décennie. Ce soutien évoqué dans votre discours ne se concilie pas avec vos propos sur les objectifs communs quant à la lutte contre le terrorisme international. Nous sommes intéressés par le développement des relations amicales, selon des règles claires et fermes».
Bandar a précisé dans ce contexte que cette question (l’appui des groupes extrémistes) ne relevait pas uniquement du royaume saoudien. Selon ses propos, certains pays ont dépassé leur rôle prévu, tel, la Turquie et le Qatar. «Nous l’avions dit directement aux Qataris et aux Turcs. Nous refusons leur soutien illimité aux Frères Musulmans en Égypte et ailleurs. Le rôle des Turcs ces jours-ci est similaire à celui du Pakistan durant la guerre afghane. Nous ne favorisons pas les régimes religieux extrémistes. Nous voulons établir des régimes modérés dans toute la région. L’expérience de l’Égypte est significative. Nous la suivons de près et poursuivrons notre appui au ministre de la Défense, le général Abdel Fattah Sissi, car ce dernier veut maintenir de bonnes relations avec nos deux pays. Nous vous proposons de communiquer avec lui, de lui fournir le soutien et de lui assurer les meilleures conditions pour faire réussir l’expérience égyptienne. Nous sommes prêts à conclure des transactions d’armes avec votre pays, dans l’intérêt de ces régimes, notamment de l’Égypte».
La coopération économique et pétrolière
Bandar a exposé devant son hôte les éventuels domaines de coopération entre la Russie et l’Arabie, si une entente est établie autour de plusieurs dossiers, notamment la Syrie.
Il a évoqué la coopération dans les domaines des investissements et du pétrole, appelant la Russie à élaborer une stratégie russo-saoudienne commune à l’égard du dossier pétrolier. «Notre objectif serait de nous entendre sur le prix du pétrole et les quantités de la production afin de maintenir le prix international et la stabilité dans les marches pétroliers».
Et Bandar d’ajouter: «Nous comprenons le grand intérêt porté par la Russie au dossier pétrolier et gazier dans la Méditerranée, à partir d’Israël, de Chypre, passant par le Liban et la Syrie. Nous comprenons l’importance vitale des gazoducs russes pour canaliser le gaz vers l’Europe. Nous n’avons pas l’intention de vous faire concurrence. On peut coopérer dans ce domaine, comme dans ceux de la construction des raffineries et de l’industrie pétrochimique. Le royaume est en mesure d’assurer d’énormes investissements estimés à des milliards de dollars dans différents secteurs dans les marchés russes. Mais l’importance réside dans les ententes politiques que nous pourrons conclure autour de plusieurs dossiers, notamment iranien et syrien».
Poutine a répondu que les idées avancées méritaient d’être débattues entre les ministères concernés des deux pays.
La Syrie …en premier
Dans une longue intervention, Bandar a exposé le développement des positions saoudiennes à l’égard de la crise syrienne, à partir du premier incident de Deraa arrivant aux évènements récents. «Pour nous, et pour la majorité du peuple syrien, le régime syrien est fini. La majorité du peuple ne permettra pas à Bachar Assad de rester à la tête du pouvoir. La clé des relations entre nos deux pays réside dans votre compréhension de notre approche à l’égard du dossier syrien. Sur ce, vous devez cesser votre appui politique au régime surtout au Conseil de sécurité, ainsi que votre appui militaire et économique. Nous vous donnons la garantie de ne pas affecter, d’un iota, les intérêts de la Russie en Syrie et sur la côte de la Méditerranée. La Syrie sera gouvernée dans l’avenir par un régime démocratique, modéré, sous notre parrainage direct. Il serait dans son intérêt de respecter les intérêts de la Russie et son rôle dans la région».
Fermeté russe en faveur de l’Iran
Bandar a ensuite abordé l’approche saoudienne à l’égard du rôle régional de l’Iran, notamment en Irak, en Syrie, au Liban, en Palestine, au Yémen, à Bahreïn et dans d’autres pays. Il a souhaité que «la Russie comprenne le fait que les intérêts de la Russie et celles des pays du Golfe sont les mêmes face aux défis et aux ambitions nucléaires iraniennes».
Pour sa part, Poutine a expliqué la position de son pays à l’égard des développements du «printemps arabe», surtout sur la scène libyenne. «Nous sommes beaucoup inquiets pour l’Égypte. Nous pouvons comprendre les mesures prises par l’armée égyptienne, mais nous sommes prudents dans nos approches par crainte d’un glissement vers une guerre civile qui serait couteuse pour les Égyptiens, les Arabes et la communauté internationale. Moi-même, je comptais faire une visite éclair en Égypte. Cette question est toujours objet de discussion», a-t-il dit.
Concernant l’Iran, Poutine a indiqué au responsable saoudien que l’Iran était un pays voisin avec lequel la Russie entretenait de bonnes relations depuis des siècles, notant que les deux pays étaient liés par des intérêts communs.
«Nous soutenons l’obtention par les Iraniens des combustibles nucléaires pour des objectifs pacifiques. Nous les avons aidés à moderniser leurs installations pour cette fin. Nous poursuivrons bien sûr les négociations avec l’Iran dans le cadre du G5+1. Je rencontrerai dans ce contexte le président Hassan Rohani, en marge du sommet des pays de l’Asie centrale. Nous aborderons plusieurs dossiers de coopération bilatérale, régionale et internationale. J’informerai le président iranien de notre ferme rejet de toute imposition de nouvelles sanctions internationales contre l’Iran en Conseil de sécurité. La Russie est convaincue que les sanctions prises dans le passé contre l’Iran étaient injustes. Nous ne répèterons pas cette expérience».
Erdogan à Moscou en septembre
Concernant la Turquie, Poutine a évoqué son amitié avec le premier ministre turc, Recep Tayyeb Erdogan. «La Turquie est aussi un pays voisin auquel nous sommes liés par des intérêts communs. Nous sommes attachés au développement de nos relations dans différents domaines. Durant les entretiens turco-russes, nous avions énuméré les questions controversées entre les deux pays et celles que nous convenons. Il s’est avéré que les points communs sont plus nombreux. J’ai moi-même informé les responsables turcs et je le répèterai à mon ami Erdogan, que ce qui se déroule en Syrie nécessite une approche différente de leur part. La Turquie ne sera pas épargnée par le bain du sang en Syrie. Ils doivent être les plus enthousiastes pour un règlement politique de la crise syrienne. Nous sommes sûrs que le consensus politique en Syrie est inévitable, pour cela, ils doivent réduire l’ampleur des pertes. Nos différends politiques avec les Turcs dans le dossier syrien n’affecteront pas la coopération au niveau économique et des investissements. Nous leurs avons confirmé notre disposition à coopérer avec eux pour bâtir deux réacteurs nucléaires. Cette question sera d’ailleurs inscrite à l’agenda de la visite du premier ministre turc à Moscou en septembre».
Poutine: Notre position à l’égard d’Assad ne changera point
A propos de la Syrie, le président russe a répondu au responsable saoudien en disant: «Notre position à l’égard du régime syrien ne changera point. Nous estimons que le régime syrien est le meilleur à s’exprimer au nom du peuple syrien et non les cannibales, mangeurs des foies. A Genève 1, nous nous sommes mis d’accord avec les Américains sur un package deal. Les responsables américains avaient accepté la participation du régime à tout règlement politique de la crise. Plus tard, ils ont décidé de transgresser l’accord conclu à Genève…Durant toutes les réunions entre les experts russes et américains, nous avons répété notre position initiale. Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, soulignera durant son entretien prévu avec son homologue américain, John Kerry, l’importance de déployer tous les efforts possibles pour parvenir à un règlement politique de la crise syrienne , dans les plus proches délais, afin de cesser l’effusion de sang».
Le chef des renseignements saoudiens a répondu que le différend autour du dossier syrien aboutit à un constat unique selon lequel, l’option militaire serait le seul choix possible à l’heure actuelle, à l’ombre de l’impossibilité du consensus politique. «Nous estimons que la tenue de la conférence de Genève 2 sera difficile dans ce climat embrasé», a-t-il ajouté.
Les deux parties, russe et saoudienne, ont convenu au terme des pourparlers de poursuivre leurs concertations et de ne pas dévoiler la teneur de l’entretien confidentiel…Plus tard, une des deux parties a divulgué les données relatives à l’entretien, dans la presse russe en premier lieu.
Article paru le mercredi 21 août dans le quotidien libanais As-Safir, traduit par l'équipe du site