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Chantage au visa de sortie: cinq mésaventures d’expats au Qatar

Chantage au visa de sortie: cinq mésaventures d’expats au Qatar
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Pour travailler au Qatar, il faut un sponsor. Une entreprise ou un particulier qui vous parraine. Sans sponsor, pas de visa d’entrée. Pas de visa de sortie non plus. Or seul cet «exit permit» permet de quitter le territoire pour un départ définitif.

Si le pays est pour nombre d’expatriés un eldorado (dans ce pays de deux millions d’habitants, près de 80% de la population est étrangère), l’aventure peut parfois devenir dramatique en cas de brouille avec son sponsor. Comme pour Abdeslam, Zahir, Stéphane, Philippe, Nasser. Voici leurs histoires.

Abdeslam Ouaddou, footballeur professionnel, dit que «là-bas, inch’Allah signifie : tu peux toujours courir».
Il est parti jouer au club de Lekhewyia, «le deuxième club du propriétaire du PSG». La saison se passe bien, car son équipe, dont il est le capitaine, remporte cette année-là le championnat qatari.
Première accroche : avant de faire sa deuxième saison, on l’informe qu’il jouera dans un autre club de la première division, sans toucher à son contrat, sans indemnité de transfert. Il proteste, mais obtempère.

Bras de fer avec la Fifa

Un an plus tard, on lui ordonne d’abandonner son contrat qui se finit l’année suivante, avec un mois de préavis. Cette fois, le joueur refuse d’obéir, contacte ses avocats et en réfère à la Fifa.
Dès lors s’engage un bras de fer qui va durer près de cinq mois. Pendant cette période, Abdeslam Ouaddou n’est plus payé.
«Je m’entraînais tous les jours, parfois sous une chaleur écrasante. C’était inhumain. Ils voulaient me pousser à la faute pour que je renonce à mes droits.»
Le temps passe et Abdeslam Ouaddou ne supporte plus la situation car il ne touche toujours aucun salaire. Avec sa femme et ses trois enfants, il demande son «exit permit» pour sortir du territoire. On lui fait comprendre qu’il l’obtiendra à condition de retirer sa plainte auprès de la Fifa. Il finit par l’obtenir à force de médiatiser son affaire.
Sont-ils nombreux dans ce cas ? Le ministère des Affaires étrangères assure que ces cas sont «exceptionnels». Mais en quelques jours d’enquête, il est facile de trouver d’autres histoires similaires.

Pas payé depuis 22 mois

Lors d’un désaccord avec le sponsor, les conflits se règlent souvent via le «compromis». «Probablement car certains acceptent les conditions imposées par peur de rester au Qatar», avance Abdeslam Ouaddou. Ce n’est pas l’analyse de Nabil Ennasri, auteur de «L’Enigme du Qatar» (éd. Armand Colin, mars 2013) et spécialiste du pays :
«Le Qatar a tout intérêt à vouloir régler ces problèmes afin de maintenir une image attractive et une réputation positive. Cet élément reste très important dans leur stratégie de communication.»
Il ajoute : «Ces cas sont minoritaires. J’ai rencontré nombre de Français très satisfaits au Qatar, notamment dans les secteurs de l’immobilier, la banque, la finance ou le sport.»
Zahir Belounis connaît Abdeslam Ouaddou, car à de nombreux égard leurs histoires se ressemblent. Lui aussi est footballeur. Mais lui est toujours bloqué au Qatar.
L’histoire avait pourtant bien commencé. En 2007, le footballeur professionnel a commencé à jouer dans le pays. «Trois ans plus tard, j’ai reçu une offre en Europe et j’ai décidé de rentrer en France. Les dirigeants du club Al Jaish ont tout fait pour me retenir», se souvient-il. On lui propose un contrat de cinq ans.
«Après la première année, on est venu me dire qu’on me prêtait en D2 au club Al-Markhiya. J’accepte avec le même salaire et des compensations. Mais je n’ai jamais rien touché depuis. Cela fait maintenant 22 mois...»

«Ils veulent d’abord que je démissionne»

Sans ressource, sans possibilité de travailler, le footballeur professionnel et sa famille vivent «un cauchemar» : «Ils refusent de me donner l’exit permit car ils veulent d’abord que je démissionne, alors qu’ils me doivent des mois de salaires.»
Sa participation à un reportage de Canal + n’arrange pas les choses. Pourtant, il ne perd pas espoir : «J’ai confiance en la justice qatarie. Je me bats pour ma dignité.»
«Officiellement, je n’existe pas »
Stéphane Morello, 52 ans est aussi dans cette situation. Lui est coincé au Qatar depuis cinq ans.
«Je suis en contrat avec le Comité olympique qatari. Mais ils refusent de me donner une autre mission. J’ai d’abord réclamé mon salaire de 2009 à 2010, qui ne m’était plus versé. Puis, j’ai fini par démissionner, pour obtenir un exit visa, ou afin de pouvoir travailler dans une autre entreprise. J’ai aussi porté plainte.»
Réparer le préjudice subi et obtenir justice sont ses seules exigences.

Fuite en voilier

Le domaine sportif n’est pas le seul touché. En 2008, Philippe Bogaert, producteur belge, est resté des mois sans espoir de sortie, empêtré dans un imbroglio judiciaire qui semblait sans fin.
Nommé directeur d’une société qatarie qui a très vite fait faillite à cause d’un énorme impayé, il est poursuivi par son sponsor – l’actionnaire majoritaire de la société, qui lui réclame des millions de dollars.
Bloqué onze mois au Qatar, il s’est finalement enfui en voilier direction Bombay (Inde), un scénario digne d’une production hollywoodienne.
Pour lui, « ce qui se cache derrière ce sponsor, c’est de l’esclavage pur et simple. Vous êtes complètement dépendant de lui.»
Si c’était à refaire ? Il n’aurait jamais travaillé pour une entreprise qatarie mais étrangère et aurait utilisé des visas de tourisme pour ne pas se retrouver prisonnier.

«Esclavage moderne»

 Nasser Beidoun, 48 ans, s’est retrouvé «otage» dans le pays pour des raisons semblables à celle de Philippe Bogaert.
Grâce à une médiatisation de son histoire, cet Américano-Libanais originaire de Detroit a réussi à faire valoir son droit auprès de la justice qatarie. Sur son blog, il dénonce aussi un «esclavage moderne». Après 22 mois, il a obtenu gain de cause.
 Selon Nabil Ennasri, il conviendrait de réformer le système de sponsor «pour limiter les abus encore trop nombreux et se rapprocher des standards internationaux». Il insiste :
«C’est une question de principe du respect des droits humains à laquelle le Qatar se doit d’apporter des réponses dans un avenir proche.»
Nous avons contacté l’ambassade qatarie à Paris. Elle n’a jamais répondu à nos demandes sur les cas évoqués plus haut et sur l’exit permit.

3 366 Français au Qatar

Si le sort des travailleurs asiatiques est peu enviable, les expatriés Français profitent de nombreux avantages : des emplois à responsabilités, des salaires conséquents, des billets d’avion gratuits, parfois même une résidence ou une voiture de fonction. 3 366 Français, dont 1 188 mineurs, vivent au Qatar.

Des quotas par nationalités

Autre galère : celle d’Ahmed, 29 ans, ingénieur informatique en France. Une entreprise qatarie lui propose des «conditions de rêve». Il démissionne, son épouse journaliste refuse un an de CDD «dans une grande chaîne», ils vendent leurs meubles... Mais quelques jours avant le départ, le couple reçoit un e-mail qui leur annonce qu’ils n’ont finalement pas obtenu de visa. Motif ? Ahmed est tunisien et le quota pour cette nationalité serait dépassé.
Il a été débouté en première instance et en appel le 25 février dernier, car le Comité ne reconnaît pas sa mission.
«J’habite dans une maison prêtée par le comité. Mais officiellement, je n’existe pas. Or sans eux, pas d’exit visa, pas de possibilité de sortie ou de changer de sponsor.»
Source : rue 89

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