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Frangié, une voix dans le désert des mensonges et de la langue de bois

Frangié, une voix dans le désert des mensonges et de la langue de bois
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Par Soraya Hélou

Au Liban, il y a ceux qui parlent pour ne rien dire et ils sont les plus nombreux surtout au sein de la classe politique, et ceux qui ne prennent pas souvent la parole mais cherchent à donner un sens et une portée profonde à leurs propos. Le député et ancien ministre Sleiman Frangié fait partie de la seconde catégorie. Non pas seulement parce qu’il est issu d’une grande famille politique, ni parce qu’il a un franc parler rare dans les milieux politiques libanais spécialistes de la langue de bois et autres lieux communs, mais parce que c’est un homme de conviction aux idées claires et concrètes.
Son intervention au cours de la dernière réunion de la conférence du dialogue national est passée plutôt inaperçue dans les médias. Elle était pourtant de la plus haute importance. Reprenant le thème qu’il avait développé lors de la précédente réunion, Frangié a posé la problématique de l’agent israélien et de la loi qui devrait le châtier.
Le chef du courant des Maradas a bien fait de revenir sur cette question, car dans les cercles officiels libanais, le flou est toujours de rigueur, histoire de voir comment le vent tourne. En principe, la loi libanaise ne donne aucune définition de l’agent. Mais il est présumé être un collaborateur de l’ennemi du pays. Or, même l’ennemi n’est pas clairement défini. Pour une partie des Libanais (de plus en plus réduite, il faut le reconnaître), il s’agit de la Syrie et tout récemment encore Samir Geagea qualifiait l’ancien ministre Wiam Wahhab d’agent syrien.
En évoquant cette question devant ceux qui sont sensés consolider l’entente interne libanaise par un dialogue profond et poussé, Frangié a en réalité mis le doigt sur la plaie. Les Libanais sont-ils réellement d’accord pour considérer "Israël" comme l’unique ennemi véritable du pays? Suffit-il de quelques déclarations dans la presse pour montrer que la partie libanaise qui, dans le passé avait établi des liens avec "Israël" a renoncé à cette stratégie? Devant son auditoire très attentif, même si certains d’entre eux pouvaient être assez gênés, Frangié a rappelé cette période qui remonte à moins de vingt ans et, avec beaucoup d’objectivité, il a précisé qu’il n’évoque pas le passé pour lancer des accusations et rouvrir les plaies, mais pour que les choses soient désormais bien précises.
Le chef des maradas a été encore plus loin, reprenant l’incident de la caserne de Marjeyoun pendant la guerre de 2006, lorsque le responsable de la caserne, un haut officier des FSI a donné l’ordre à ses subalternes de faire du thé et de l’offrir à l’occupant israélien. L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque et nul n’a pu affirmer avec certitude si l’officier avait agi de la sorte sur ordre du ministre de l’Intérieur de l’époque Ahmed Fatfat ou s’il l’avait fait de son propre chef. De toute façon, il avait été suspendu pour une courte période et l’affaire avait été rapidement étouffée. Est-il normal de laisser passer un tel scandale, alors que les services de sécurité démantèlent régulièrement de nouveaux réseaux d’espionnage pour le compte d’"Israël"?
Au lieu de se lancer dans des polémiques sans fin sur les armes du Hezbollah et leur relation avec l’Etat libanais, il serait bon de se rappeler que lors de la guerre de 2006, une partie, certes minime, mais une partie quand même, de la population espérait une victoire d’"Israël" pour en finir avec le Hezbollah. Dans certains salons de la montagne libanaise, on discutait ferme et on attendait avec impatience la nouvelle de la débandade des combattants de la liberté et de la dignité. Mais une fois la guerre finie, et la victoire du Hezbollah reconnue même par les Israéliens, cette partie de la population a enfoui ses espoirs déçus et tenu un langage plus propice à la situation nouvelle. Tout le monde a fait comme si de rien n’était et le premier à vouloir tourner la page a été le Hezbollah dans son souci de préserver l’unité nationale et l’entente interne.
Mais jusqu’à quand faudra-t-il tenir ce langage de dupes et faire comme si tout le monde était d’accord pour considérer "Israël" comme un ennemi? Frangié a eu le courage et l’honnêteté d’ouvrir le débat. Il a même dans son exposé rappelé
l’accueil enthousiaste réservé par le Premier ministre de l’époque et ses compagnons au sein de la même formation à la secrétaire d’Etat américaine Condoleeza Rice, lors de sa visite à Beyrouth le 26 juillet 2006, en pleine guerre israélienne contre le pays. Son but n’était pas de revenir à un passé douloureux pour tous les Libanais mais bien d’en finir avec le double langage et les slogans creux, pour définir des concepts clairs qui permettent aux citoyens de savoir où ils en sont. Tant que les espions et autres agents pensent pouvoir être protégés par leur confession ou par les définitions floues, ils continueront à trahir leur pays, pour de l’argent ou par conviction. Mais si la loi est claire et son application ferme, il sera bien plus difficile pour les agents d’agir en toute liberté. 
C’est le message de Frangié et c’est tout à fait à son honneur d’avoir développé ce sujet délicat à une période qui l’est tout autant. On ne peut pas prétendre être pour la souveraineté du Liban et pour sa défense contre les visées israéliennes et chercher en même temps à ménager les Etats-Unis et à couvrir toutes les initiatives visant à affaiblir ou à désarmer le Hezbollah. Cessons de nous mentir à nous-mêmes: l’équation est simple: affaiblir le Hezbollah c’est affaiblir la résistance et affaiblir la résistance c’est servir les intérêts israéliens. Il n’y a pas d’autre logique. Merci Sleiman Frangié pour avoir mis les points sur les « i ».

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