noscript

Please Wait...

Du 14 mars et d’autres illusions…

Du 14 mars et d’autres illusions…
folder_openAnalyses access_time depuis 14 années
starAJOUTER AUX FAVORIS

Par Souraya Hélou

C’est une image presque surréaliste à laquelle les Libanais ont eu droit dimanche à l’hôtel Bristol. D’un côté, le secrétaire général du 14 mars Farès Souaid et ses compagnons qui affirment haut et fort que l’alliance du 14 mars est toujours solide et cohérente et de l’autre, une absence criante de personnalités de premier rang comme le Premier ministre Saad Hariri, Walid Joumblatt et Amine Gemayel. La foule de personnalités, pour la plupart peu connues du grand public, qui se sont serrées pour trouver des places le long de la grande table ne réussissait pas à remplir le vide laissé par les piliers traditionnels du mouvement. Malgré cela, les porte-parole officiels se sont empressés d’affirmer que rien n’a changé, dans un cri pitoyable qui ressemble plus au déni psychologique qu’à l’expression de la réalité.

Certes, le 14 mars existe encore, mais ni dans la forme, ni dans le fond des années précédentes et ce n’est pas en conviant des figures inconnues, tout heureuses de poser devant les caméras que l’on parviendra à convaincre les Libanais que le mouvement continue à avoir la même vigueur. De même, ce n’est pas en refusant de reconnaître que le chef du PSP Walid Joumblatt a quitté ce camp que l’on changera cette nouvelle donne. La veille encore, et le choix de la date à la veille de
l’anniversaire du mouvement du 14 mars n’est pas un hasard, Joumblatt répétait à la chaîne arabe « Al Jazira » qu’il avait pris ses distances avec le 14 mars à partir du 2 août 2009. Malgré cela, les théoriciens du mouvement ont tenu à préciser que Joumblatt respecte toujours les principes du mouvement et milite en leur faveur. De même, ils ont refusé de reconnaître que le Premier ministre Saad Hariri leur a fait faux bond, essayant de faire contre mauvaise fortune bon cœur, mais ne parvenant pas à donner le change devant les caméras des journalistes.

En réalité, il n’y a là, rien de vraiment étonnant. Depuis cinq ans en effet, le 14 mars fait vivre ses partisans dans l’illusion et il n’a encore rien appris. Cinq ans durant, les ténors du mouvement ont abreuvé leurs partisans de slogans vengeurs et tapageurs, appelant à la haine et à la division, forts de l’appui de la communauté internationale et refusant de reconnaître
qu’une grande partie de la population ne partageait pas leurs points de vue. Comme au plus fort de la guerre civile, ces leaders refusaient de reconnaître à leurs opposants l’appellation de Libanais, se contentant de les traiter d’agents syriens ou iraniens et de refuser tout dialogue avec eux. A plus d’un million de Libanais qui réclamait une participation au pouvoir dans le cadre d’un gouvernement d’union, le 14 mars a répondu par le mépris, poursuivant sa politique de monopole des prérogatives et de la représentation populaire, sous prétexte de défendre l’indépendance et la souveraineté du Liban contre ceux qui souhaitent le placer dans l’axe « du mal » syro-iranien. Il a fait ainsi croire à ses partisans qu’il luttait réellement pour
l’indépendance et la souveraineté alors qu’en réalité, il ne faisait qu’exécuter les directives de la communauté internationale et en particulier celles des Etats-Unis et de leur ambassade au Liban. Il suffisait que le chef d’orchestre américain donne le ton et aussitôt la chorale 14 marsiste se mobilisait. L’illusion aurait pu durer encore longtemps si les « néo-souverainistes » n’avaient cru à leurs propres mensonges et surestimé leur force le 5 mai 2008 à travers deux décisions visant à neutraliser la résistance et avec elle l’opposition d’alors. Le 7 mai 2008 toute l’équation interne a basculé et il est devenu clair que le 14 mars ne pouvait plus gouverner seul et qu’il devait accepter les conditions de l’opposition de l’époque. Ce fut la conférence de Doha, l’élection du président consensuel et la formation d’un gouvernement avec le tiers de participation accordé à l’opposition.

Le 14 mars n’a pas voulu comprendre la nouvelle donne et il s’est lancé dans les élections législatives à corps et fonds perdus, espérant rétablir l’équilibre en sa faveur. Officiellement, il a remporté 71 sièges sur 128, mais la réalité était tout autre. Joumblatt avec ses onze députés s’est déclaré centriste et le Premier ministre Saad Hariri a pris le chemin de Damas. Malgré cela, le 14 mars continue à faire comme rien ne s’était passé et qu’il était encore en mesure d’imposer son point de vue et
d’obtenir le désarmement du Hezbollah sous prétexte de vouloir placer la résistance sous le contrôle de l’Etat. Mais pour ce mouvement, les slogans pompeux cachent mal le vide politique.
Officiellement, la réunion de dimanche était placée sous le signe du passage vers l’Etat et de la protection du Liban.
Mais de quel Etat parlons-nous et au cours des cinq dernières années, quel modèle étatique ont donné les 14 marsistes ? Ont-ils édifié une justice qui inspire confiance aux citoyens? Ont-ils édifié une structure sécuritaire qui permet aux citoyens de toutes les régions de se sentir protégés des voyous ? Ont-ils arrêté le clientélisme au sein de l’administration ? Ont-ils lutté contre la corruption, pris des mesures contre les contrevenants, bref restauré la majesté de l’Etat et de ses institutions ? Ou bien au contraire, ils ont confirmé la mentalité et le comportement miliciens au sein des institutions ? Si la question était posée aux Libanais, la réponse ne serait probablement pas en faveur de ceux qui prétendent vouloir l’Etat et ses institutions.

De même, ils se soucient maintenant de défendre le pays contre « les menaces régionales », parce qu’ils rechignent à parler des menaces israéliennes et qu’ils considèrent que le danger vient autant de Téhéran que de Tel Aviv. Ce qui donne déjà une idée du genre de protection qu’ils souhaitent. Mais voyons un peu ce qu’ils ont trouvé pour protéger le Liban. Ils ont rappelé que « la réponse à toute agression israélienne relève de la responsabilité de l’armée libanaise qui doit informer le gouvernement de la situation et ce dernier prendra les décisions adéquates » et demandé une participation de la Ligue arabe à l’élaboration d’une stratégie de défense libanaise, en plus d’une initiative en direction de la communauté internationale pour
l’application de la 1701.

Gageons que les Libanais après avoir lu ces points adoptés par la réunion du Bristol se sentent effectivement protégés contre toute agression israélienne. D’abord les chars et les avions israéliens attendront naturellement la réunion du gouvernement et sa prise de décision. Sans compter que la Ligue arabe a toujours été d’une grande efficacité dans la protection du Liban et des Palestiniens. Quant à la communauté internationale, inutile de rappeler comme ses résolutions sont appliquées à la lettre par "Israël".

De qui se moque-t-on en fait? Revenir à des idées creuses qui ont prouvé leur inefficacité pendant des années, pour ne pas reconnaître les victoires de la résistance, trempées dans le sang des braves signifie-t-il qu’on cherche réellement à protéger le Liban? Ceux qui annoncent en grande pompe l’adoption de ce plan miraculeux destiné à protéger le pays croient-ils qu’ils parviendront à convaincre les Libanais que leur seul souci est de les protéger, non de désarmer la Résistance pour faciliter les plans israéliens? Comment expliquer autrement la détermination à placer la résistance sous le contrôle de l’Etat, alors que la formule actuelle a fait ses preuves en 2000 et en 2006? Cette insistance à vouloir placer le Hezbollah dans son rôle de résistant sous l’autorité de l’Etat, alors que nul n’ignore que celui-ci est paralysé par des considérations confessionnelles et autres est plus que suspecte. Que l’on ne crie pas à l’accusation de traitrise. L’acharnement à priver le Liban d’une carte gagnante face à "Israël" ne peut que susciter des doutes chez tous ceux qui ont à cœur la souveraineté et la dignité du Liban, d’autant que le modèle étatique donné au cours des 5 dernières années n’est guère rassurant. Alors messieurs du 14 mars, tous vos élans nationalistes ne convainquent plus personne. D’ailleurs, les temps ont changé et il n’y a plus que vous pour ne pas le voir…



//