Présidentielle: Samir Geagea rattrapé par son passé
Samir Geagea, qui souhaitait se présenter comme un responsable politique d'envergure nationale, a été rattrapé, au Parlement, par son passé de chef de milice. Le souvenir de ses victimes présumées est venu le hanter jusque dans l'urne, lors du premier tour de l'élection présidentielle, mercredi.
La scène était surréaliste, mercredi, au Parlement libanais: le nom du tueur supposé et ceux de ses victimes présumées, mélangés dans la même urne. Le chef des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, a en effet été reconnu coupable par la plus haute instance judiciaire libanaise, la Cour de justice, des meurtres -entre autres- de l'ancien Premier ministre, Rachid Karamé, en 1987, du chef chrétien Dany Chamoun et de sa famille, en 1990 et d'Elias Zayek, ancien cadre des FL. Samir Geagea est sorti de prison grâce à une amnistie, qui n'en fait pas pour autant un innocent, selon les plus éminents juristes.
En se portant candidat à l'élection présidentielle, le chef des FL a voulu réaliser plusieurs objectifs, qui revêtent tous, à ses yeux, une importance capitale. Le premier objectif est de barrer la route de la présidence au général Michel Aoun, après les informations qui ont circulé sur le fait que le leader du Courant patriotique libre (CPL) ne fait plus l'objet d'un véto irrévocable de la part des Etats-Unis, surtout depuis l'amélioration des relations entre Washington et Téhéran. L'ouverture du général Aoun sur le Courant du futur et sa réunion avec l'ancien Premier ministre Saad Hariri, qui s'est tenue à l'insu de M. Geagea, ont inquiété le chef des FL, dont la lecture politique erronée des développements locaux et régionaux l'a exclu du gouvernement d'union nationale de Tammam Salam.
Le deuxième objectif est de torpiller les candidatures potentielles d'autres personnalités du 14-Mars, comme le chef du parti Kataëb, Amin Gemayel, le ministre Boutros Harb et le député Robert Ghanem. En annonçant sa décision de participer à la course à la présidentielle, d'une manière unilatérale et sans concertations avec les autres composantes du 14-Mars, Samir Geagea a voulu mettre ses alliés, avant ses adversaires, devant le fait accompli. Embarrassés, ceux-ci ont fini par l'appuyer, du bout des lèvres, avec deux semaines de retard.
Une virginité politique
Le troisième objectif est de tourner définitivement la page de son passé de chef de milice, responsable de nombreux crimes durant la guerre, et qui constitue pour lui un lourd handicap. En devenant le candidat du 14-Mars, appuyé par le plus grand parti sunnite au Liban, Samir Geagea espère se refaire une virginité politique, qui lui manque atrocement pour devenir un leader de calibre national.
Mais Samir Geagea a été rattrapé par son passé sous la coupole de l'hémicycle. Les bulletins comportant les noms de ses victimes présumées (Rachid Karamé, Dany Chamoun et les deux enfants Tarek Dany Chamoun et Jihane Tony Frangié) ont eu autant d'impact sinon plus que les 48 bulletins où était inscrit son nom. Les sept députés qui ont pris cette décision courageuse ont, en quelque sorte, gâché la fête que le chef des FL s'apprêtait à célébrer, écornant sérieusement son image d'homme politique d'envergure nationale. Et le fait que quatre des cinq députés sunnites de Tripoli, la ville natale de la famille Karamé, aient refusé de voter pour lui - dont un membre du Courant du futur, Mohammad Kabbara-, prouve que la rue sunnite n'est pas prête d'oublier et de pardonner le crime de l'assassinat par Geagea de l'une de ses figures historiques, Rachid Karamé.
Autre déception pour Samir Geagea, le nombre de bulletins blancs (52), qui prouve que Michel Aoun reste plus représentatif que lui au sein du Parlement et de l'opinion publique, libanaise en général, et chrétienne en particulier. La gifle est d'autant retentissante que le leader du CPL ne s'est pas porté candidat, considérant que son envergure ne lui permet pas de se livrer à un duel direct avec Geagea.
Enfin, il n'est pas sûr que Geagea restera le candidat unique du 14-Mars, Amine Gemayel ayant annoncé, par la voix du ministre du Travail, Sejaan Azzi, son intention d'entrer dans la course.
L'aventure présidentielle de Geagea prouve que le chef des FL n'a pas changé de mentalité et d'attitude depuis qu'il était chef de milice. Comme il le faisait pendant la guerre par des moyens violents (de l'intimidation à l'assassinat), il cherche toujours à se débarrasser -par des manœuvres politiques aujourd'hui- de ses rivaux, même lorsqu'ils appartiennent au même camp que lui. De plus, il est incapable de se positionner en personnalité acceptée de tous les Libanais. D'emblée, dans son «programme électoral» et ses prises de positions politiques, il s'est aliéné plus de la moitié des Libanais, toutes communautés confondues, qui croient dur comme fer dans la Résistance pour protéger le pays contre les menaces israéliennes.
Source : Al-Ahednews